La route des Oasis: Retour sur les Rencontres de Gabès. 6-8 mai 2022

novembre 2022
Article par Cartographie Citoyenne et AlterCarto
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La route des Oasis: Retour sur les Rencontres de Gabès. 6-8 mai 2022

 

Tout au long de ces trois jours de rencontres, plusieurs acceptions du concept d’ « oasis » ont continuellement cohabité au cours des échanges. L’oasis a tout d’abord été envisagée comme un centre écosystémique, prenant la forme d’un espace de végétation, de culture agricole et de commerce au cœur du désert. Cet espace se structure lui-même en trois strates principales : celle du palmier dattier, la plus haute, qui assure la fraîcheur et le maintien de l’humidité ; celle des arbres fruitiers (grenadiers, orangers, etc.), au niveau intermédiaire ; celle des cultures maraîchères et/ou céréalières, au sol. L’oasis peut également se penser, dans cette perspective, à l’échelle plus large d’un bassin versant.

Comme nous le verrons dans la suite de cet article, les enjeux spécifiquement liés aux menaces et agressions pesant sur ces écosystèmes, ainsi que les stratégies visant à les préserver, ont fait l’objet de nombreux échanges et de partages d’expériences. De manière inversée, les enjeux liés à la création d’une oasis ont également été évoqués, à travers le projet initié par le collectif des chômeurs de Ouargla consistant à créer ex-nihilo une oasis.

Mais l’oasis a aussi été envisagée comme une périphérie urbaine ou semi-urbaine, à l’image des quartiers « non-lotis » de Ouagadougou – où cohabitent urbains et ruraux – ou des banlieues populaires de l’agglomération lyonnaise. Ces périphéries se caractérisent, au-delà de la diversité des contextes locaux et nationaux dans lesquels elles s’inscrivent1, par le fait que leurs habitants et habitantes subissent en première ligne les effets contraignants du sous-équipement et/ou du sous-dimensionnement résultant de l’absence de régulation publique et/ou de l’indigence structurelle des politiques publiques qui leur sont adressées : en matière d’accès à l’eau, à l’alimentation et aux sources d’énergie, de collecte et de traitement des déchets, d’écoles, de centres de santé, de réseaux de transports, de cultures agricoles, etc. Ces contraintes traduisent, autant qu’elles produisent et reproduisent, les inégalités et les discriminations à raison de l’appartenance de classe, de genre, d’ethnie, de race, de religion ; à raison, aussi, du niveau d’éducation ou encore du statut d’activité. Dans la perspective de constitution de notre réseau, le fait de considérer ce type de situation comme des oasis constitue un parti-pris à la fois politique et pratique. […]

Une fois reliées entre elles, ces deux acceptions de l’oasis en produisent alors une troisième, elle aussi au cœur des échanges : celle de l’oasis comme socle de luttes et comme imaginaire politique, par-delà les fractionnements du monde. Tout au long de nos discussions, l’oasis a ainsi été envisagée comme un lieu d’inscription et de connexion des luttes pour la justice sociale, environnementale et migratoire, dans un monde clôturé par ses frontières entre le Nord et le Sud, entre les Suds mais aussi entre les Nords. Dans cette perspective, l’oasis constitue un point d’accroche permettant de questionner et dépasser ces clôtures sans cesse réactivées par les logiques sécuritaires, militaires, économiques, monétaires et humanitaires à l’œuvre.

Comme il en sera question plus loin, la question de l’articulation de ces différentes acceptions constitue, tant pour la construction du réseau lui-même que dans une perspective écosystémique plus large, un enjeu pratique, intellectuel et politique central.