COP27 : Un cadeau politique pour le régime tortionnaire d’Al-Sissi

novembre 2022
Article par Sofian Philip Naceur/RLS

COP27 : Un cadeau politique pour le régime tortionnaire d’Al-Sissi

 

Les investissements “verts” en Égypte contribuent moins à l’action climatique qu’à légitimer le pouvoir d’une dictature militaire réactionnaire

 

Le président égyptien Al-Sissi profite de la COP27 pour faire oublier le bilan sanglant de son régime en matière de droits humains, et se présente comme un pionnier présumé de la transition énergétique et de la justice climatique. Mais les militant·es des droits humains profitent de l’attention internationale autour de la conférence pour dénoncer la répression et le “greenwashing” du gouvernement égyptien, et pour inciter le mouvement pour le climat à adopter une position plus claire quant au respect des droits humains dans le pays. Les gouvernements alliés à Al-Sissi continuent pourtant de soutenir sans relâche les politiques néfastes mises en œuvre par son régime, tandis que la COP27 se transforme en mascarade.

 

Inutile de se voiler la face, la conférence sur le climat COP27 et les précédents sommets de l’ONU ne sont pas des espaces dans lesquels les pays du Sud et du Nord travaillent ensemble à une transition énergétique et à la justice climatique, ou encore à la manière de financer ces deux processus de manière équitable.

L’ordre du jour de la conférence et ses résolutions non contraignantes sont déterminé·es par des gouvernements puissants, et des multinationales peu enclines à un changement réel et durable. La production de voitures électriques ou l’interdiction des sacs en plastique sont généralement présentées comme des étapes importantes, mais elles ne remettent pas en cause les modes de production axés sur la consommation, pas plus que le développement de l’énergie solaire et éolienne par les multinationales ou l’importation d’hydrogène vert d’un pays comme l’Égypte, encouragée dans un esprit colonial.

 

Dans un excellent article publié par le média égyptien Mada Masr, Omar Robert Hamilton explique qu’une transition énergétique décentralisée et mondiale pourrait avoir le potentiel d'”exploser la frontière coloniale de l’État-nation, et de favoriser des initiatives plus locales”. Mais ce “potentiel égalitaire” ne sera pas à l’ordre du jour de la COP27. Au contraire, “ici, la transition énergétique devient une opportunité de greenwashing et de faire du profit, tandis que les pays et les entreprises font la queue pour signer des accords d’installation énergétique avec une dictature saturée d’électricité et de prisonniers politiques”, écrit-il.

 

Pourtant, ces dernières années, les sommets de la COP sont devenus des événements annuels majeurs qui attirent l’attention du monde entier sur les impacts du réchauffement de la planète et du changement climatique. Cette attention a désormais le potentiel de jeter des ponts politiques, puisque la COP27, qui doit se tenir dans la station balnéaire hautement surveillée de Charm el-Cheikh, tout au sud de la péninsule du Sinaï, a permis d’amorcer le dialogue entre les mouvements en faveur du climat et des droits humains, au grand dam du régime militaire du président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi.

 

Le chemin pour y parvenir a été fastidieux, conflictuel et jonché d’obstacles; les discussions ont été houleuses et les différends ne sont pas résolus. Mais jamais auparavant un État accueillant la Conférence des parties n’avait été condamné avec autant de véhémence pour ses violations des droits humains.

 

Un conflit qui n’a que trop duré

“Alors que tous les regards sont tournés vers l’Égypte, la COP27 est l’occasion de dénoncer le mépris dont fait preuve le gouvernement égyptien envers les droits humains, et les restrictions croissantes imposées à la société civile” a déclaré Yasmin Omar, de l’ONG Committee for Justice (CFJ), dans un communiqué publié par la Coalition égyptienne des droits humains sur la COP27 (dont le CFJ est membre). L’objectif assumé de cette coalition est de bâtir des solidarités avec le mouvement international de défense des droits humains et de l’environnement.

 

Les organisations égyptiennes de défense des droits humains auraient dû bénéficier depuis longtemps d’une telle solidarité, non seulement parce que des franges entières du mouvement pour le climat sont délibérément apolitiques et dépendent de financements publics, voire volontiers cooptées par des multinationales pour soigner leurs relations publiques, mais aussi pour des raisons de sécurité. En effet, les ONG de défense de l’environnement opérant en Égypte sont bien conscientes qu’elles s’exposent à la répression de l’État si elles abordent ouvertement la crise des droits humains dans le pays.

 

Une fraction du mouvement pour le climat a néanmoins réagi aux critiques virulentes dont celui-ci a fait l’objet en raison de sa position hésitante sur le sujet, et adopte désormais un positionnement plus clair sur les crimes contre les droits humains commis par le régime militaire égyptien. Le Climate Action Network, une alliance de centaines d’organisations de la société civile issues de 130 pays, ainsi que la militante pour le climat Greta Thunberg et d’innombrables autres personnes, ont affirmé pour la première fois ou réitéré publiquement leur solidarité envers les prisonnier·es politiques en Égypte, et demandé la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement dans le pays. Une pétition a également été diffusée par la Coalition égyptienne des droits humains sur la COP27, afin d’attirer l’attention sur les restrictions importantes de la liberté d’expression, du droit de réunion et de la liberté de la presse autour de la conférence, et d’exiger que la répression contre la société civile égyptienne prenne fin.

 

“Le greenwashing d’un État policier”

Le fait que la COP27 ait lieu dans l’État policier qu’est l’Egypte a créé une “crise morale” pour le mouvement pour le climat, comme l’a écrit la journaliste Naomi Klein dans un article d’opinion au ton tranchant paru début octobre. Peu avant, Sanaa Seif, sœur du militant anglo-égyptien Alaa Abdel Fattah emprisonné en Égypte depuis 2019 et en grève de la faim depuis plus de 200 jours, a critiqué l’hypocrisie du mouvement pour le climat. “La lutte pour l’atténuation du changement climatique et la lutte pour les droits humains sont liées, elles ne devraient pas être séparées”, a déclaré Seif sur Twitter, soulignant avec virulence que le régime d’Al-Sissi est “soutenu par des entreprises telles que BP et ENI”. Sanaa Seif campe actuellement devant le ministère britannique des Affaires étrangères à Londres pour sensibiliser l’opinion publique à la situation critique dans laquelle se trouve son frère, et pour presser le gouvernement britannique d’agir en son nom.

 

Abdel Fattah a passé la majeure partie de son temps derrière les barreaux depuis 2014, sur la base d’accusations peu convaincantes et motivées par des raisons politiques. Son cas est largement considéré comme symptomatique des mesures répressives déployées par la dictature d’Al-Sissi contre les figures de l’opposition. L’attention mobilisée depuis le début de sa grève de la faim en avril dernier est un cauchemar diplomatique pour le régime, car les conditions inhumaines de sa détention exposent les tentatives grotesques de l’Égypte de blanchir son bilan en matière de droits humains, et de présenter ses coups de com’ comme des “réformes”. La conférence “va bien plus loin que le greenwashing d’un État polluant ; elle contribue au greenwashing d’un État policier”, écrit Naomi Klein.

 

Le “dialogue national”, un forum informel de discussions entre le régime et une partie de l’opposition lancé en avril, et la libération de prisonnier·es politiques visent à donner l’impression qu’Al-Sissi est prêt à faire des compromis. Considéré par le président comme un engagement non-contraignant, le dialogue tâtonne tandis que le nombre de personnes arrêtées pour des motifs politiques au cours des derniers mois dépasse largement le nombre de celles relâchées depuis le début de la campagne de libération. Bien que d’éminent·es activistes, journalistes et figures de l’opposition aient été récemment libéré·es, le caractère illusoire de cette démarche apparaît clairement au vu des quelque 65 000 prisonnier·s politiques actuellement emprisonné·es en Égypte.

 

Entre-temps, les établissements pénitentiaires égyptiens sont allègrement “réformés”. Les vieilles prisons sont fermées et les détenu·es transféré·es dans des “centres de réinsertion” prétendument progressistes. Mais voit-on réellement un “progrès” dans les nouveaux donjons d’Al-Sissi ? Outre le recours bien connu à la torture et aux tactiques d’intimidation, les détenu·es sont désormais soumis·es à une surveillance vidéo constante dans des cellules qui restent parfois éclairées 24 heures sur 24. Dans la prison de Badr, récemment créée près du Caire, des prisonnier·es continuent de mourir à cause de négligences médicales, tandis que des détenu·es organisent des grèves de la faim pour protester contre leurs conditions de détention et l’interdiction des visites familiales. Pendant ce temps, les violences policières, la torture et les arrestations arbitraires se poursuivent dans tout le pays.

 

Pas de répit avant la COP

Une déclaration du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a dénoncé un “climat de peur pour les organisations de la société civile égyptienne qui souhaitent s’engager de manière visible lors de la COP27”. Cette allégation conteste ainsi les affirmations de responsables politiques de premier plan assurant que les autorités autoriseraient la liberté d’expression dans une zone prévue à cet effet à Charm el-Cheikh, comme l’a notamment déclaré le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Shouky. Selon le Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), une organisation de défense des droits humains, les récentes “mesures superficielles” mises en place par les autorités ne sont que de la poudre aux yeux. Une nouvelle vague de répression est attendue après la COP, prévient le CIHRS, faisant référence aux menaces de nouvelles incarcérations après la conférence proférées à l’encontre de détenu·es récemment libéré·es.

 

L’ONG Reporter sans frontières (RSF) n’est pas dupe non plus des coups de communication orchestrés par le régime d’Al-Sissi. “Un·e journaliste sera libéré·e de prison par-ci par-là, mais nous pensons qu’il est très improbable qu’un changement ait lieu en profondeur en ce qui concerne les représailles massives déployées par l’Etat contre les médias”, a déclaré Christopher Resch, responsable des relations publiques de RSF Allemagne, à la Fondation Rosa Luxemburg, appelant sans ambiguïté le chancelier allemand Olaf Scholz et la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock à ne pas rester silencieux sur le “bilan épouvantable du régime d’Al-Sissi en matière de droits humains lors de leur visite à Charm el-Cheikh”. Il poursuit en expliquant que l’Égypte ressemble à une sorte de prison à ciel ouvert pour les professionnel·les des médias, où 21 journalistes sont actuellement incarcéré·es.

 

Pendant ce temps, le régime réagit comme d’habitude très nerveusement à toute velléité d’opposition publique. Les services de sécurité de l’État égyptien, la célèbre police politique du régime, ont déjà arrêté un homme de 51 ans en septembre dernier et l’ont fait disparaître de force pendant deux semaines après qu’il ait prétendument rejoint un groupe Facebook appelant à organiser des manifestations autour de la COP27.

 

Les lourdes mesures de sécurité imposées dans le Sinaï visent à empêcher toute action indésirable de la part des activistes égyptien·nes, et à assurer un contrôle étroit de l’événement et des participant·es qui affluent dans la péninsule. La ville de Charm el-Cheikh, composée presque exclusivement d’hôtels et de centres de vacances, ressemble à une forteresse blindée pour les touristes étranger·es et les Égyptien·nes fortuné·es, entièrement clôturée par un mur de béton.

En prévision de la COP27, les contrôles de sécurité des personnes voyageant sur les deux routes menant à Charm el-Cheikh ont été largement étendus et les magasins des villes voisines ont été fermés. Selon certains rapports, ces mesures de surveillance concernent même des taxis qui auraient été mis sur écoute.

 

Le mirage écologique, la vache à lait du régime d’Al-Sissi

Après que l’organisation de la COP27 lui ait été attibuée, l’Etat égyptien a mené une campagne tambour battant pour teinter de vert son industrie, son économie, ses transports publics et divers projets de développement urbain, notamment dans le but d’attirer des investissements étrangers dont son économie en difficulté a urgemment besoin. Ces dernières années, cette campagne de propagande a inondé les écrans de télévision et les réseaux sociaux, présentant l’Égypte comme pionnière en matière de politiques écologiques et défenseuse d’une transition énergétique juste.

 

Les projets de transport public soutenus par des prêts et garanties des États européens, tels que le projet de monorail du Caire ou le réseau de trains à grande vitesse actuellement construit par l’entreprise allemande Siemens, sont présentés comme des avancées majeures. Mais étant donné le coût élevé des trajets sur ces lignes, il est probable que ces projets de confort pour l’élite aisée égyptienne ne permettent en aucun cas de reporter efficacement le trafic de passager·es et de marchandises vers le rail.

 

Les annonces du gouvernement concernant la plantation de 100 millions d’arbres sont également trompeuses, car des dizaines de milliers d’arbres ont été abattus ces dernières années dans les villes égyptiennes pour ouvrir la voie à l’extension des routes, ou pour mieux faire surveiller les espaces publics par des caméras.

 

Le boom sans précédent des projets de construction de logements, de villes et d’infrastructures dans tout le pays a également été qualifié à plusieurs reprises d’ “écologique” par le gouvernement et les sociétés immobilières privées, ignorant les dommages environnementaux et sociaux causés par ces projets. L’industrie du ciment, essentiellement contrôlée par l’armée, est l’un des plus gros pollueurs en Égypte et est à la source de cette frénésie de construction. La ville de Charm el-Cheikh, qui est presque exclusivement accessible par avion, est surnommée la “ville verte”, tout comme les gated communities de Mostakbal près du Caire et de New Alamein sur la côte méditerranéenne, toutes deux construites en plein désert. Cette dernière a déjà visiblement fait accélérer l’érosion côtière dans la région, aggravant encore les dommages environnementaux causés par l’élévation du niveau de la mer.

 

En parallèle, la présidence égyptienne de la COP a annoncé que Coca-Cola, désigné par Greenpeace comme le plus grand pollueur de plastique au monde, serait le principal sponsor de la COP27, et a engagé une agence de Relations publiques pour gérer la communication autour de l’événement, sans la moindre ironie. Cette agence détient un “palmarès honteux de diffusion de désinformation”, et est même accusée d’avoir travaillé sur des campagnes de greenwashing pour des multinationales de l’énergie comme ExxonMobil, Shell ou Saudi Aramco, comme cela a été rapporté par openDemocracy.

 

Bien que l’Égypte continue de maintenir son objectif ambitieux de convertir 42 % de sa production totale d’électricité en énergies renouvelables d’ici 2035, le pays est en passe de rater de très loin l’objectif de 20 % fixé pour cette année, selon un rapport de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR). Au lieu de cela, le régime d’Al-Sissi est en train de transformer le pays en une usine exportatrice de combustibles fossiles, avec le soutien actif des pays européens. L’Égypte est devenue un exportateur net d’énergie depuis que l’exploitation par ENI et BP du gigantesque gisement de gaz fossile offshore de Zohr a commencé en Méditerranée, et cette dynamique continue d’être alimentée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

 

A l’approche de la COP27, le pays a fait tout son possible pour se dépeindre comme un innovateur en matière d’écologie. Pourtant, ce ne sont pas seulement la prestigieuse conférence en elle-même et les répercussions politiques de l’accueil d’un tel événement qui motivent Al-Sissi et son régime, mais également les intérêts économiques tangibles à la clé. La pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont plongé l’économie égyptienne dans une grave crise monétaire et de la balance des paiements, qui a alimenté la fuite des capitaux du pays. Pour contrer cette tendance, le régime a un besoin urgent d’investissements, de prêts et de fonds en provenance de l’étranger, et s’auto-proclamer pionnier de la transition écologique constitue l’un des moyens d’attirer ces investissements le plus rapidement possible, du fait de l’attention portée à la crise climatique. Mais quelles que soient les véritables motivations derrière la campagne de greenwashing menée par le gouvernement égyptien, son bilan désastreux en matière de droits humains et ses tentatives futiles de faire passer ses politiques économiques pour écologiques transforment la COP27 en une véritable mascarade pour la justice climatique et le respect des droits humains.