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Le discret jeu de la Chine en Afrique du Nord – les Sociétés militaires privées

Article par Akram Kharief / RLS

Introduction

Longtemps pays fermé, la Chine a vécu l’explosion de son économie et l’invasion des marchés lointains au même moment que la chute du mur de Berlin, l’établissement d’un nouvel ordre mondial, du 11 septembre 2001 et des révolutions arabes; une accélération de l’histoire qui a projeté 10 millions de chinois en dehors de leurs frontières, dans plus de 200 pays. Aujourd’hui, ces chinois de l’étranger représentent 37 000 sociétés chinoises et contrôlent pour l’équivalent de 2 trillions de dollars de biens à l’étranger et ont envoyé en 2018 plus de 67 milliards de dollars à leur pays.[1] Le lancement du projet Belt Road Initiative (BRI) en 2013 qui représente le plus grand projet de géo-économie et de géostratégie du 21e siècle, a directement impliqué une action de Pékin dans 70 pays, principalement en Asie Centrale, en Asie du Sud, en Afrique de l’Est, en Afrique du Nord et en Europe de l’Est et du Centre, sur 900 projets structurants pour une valeur de 800 milliards de dollars.[2]

Paradoxalement, entre 2002 et 2019, 140 000 attaques terroristes ont affecté les pays des régions concernées par la BRI, avec 234 000 morts causés par ces incidents.[3] Selon le Ministère chinois du Commerce, entre 2010 et 2015, 345 incidents terroristes ont concerné des entreprises chinoises ou détenues par des chinois à l’étranger, faisant plus de 1000 morts.[4] Durant cette période, les autorités chinoises ont fait évoluer leur doctrine de sécurité extérieure au fur et à mesure de l’évolution de leurs ambitions économiques et géostratégiques. Il en résultera une externalisation de la sécurité des investissements économiques chinois, une privatisation de la sécurité à l’intérieur comme à l’extérieur et parfois la tentation d’utiliser autrement cette discrète force qui est éparpillée aux quatre coins du monde.

 

Histoire de la sécurité privée en Chine

La première entreprise de sécurité privée agrée par un Etat dans le monde a été créé vers la fin du 18ème siècle sous le règne de l’Empereur Qianlong, par un certain Zhang Heiwu 张黑五, originaire de la province du Shanxi, sous le nom de Biaoju 镖局[5] . Il avait sous ses ordres 500 combattants formés aux arts martiaux qui s’occupaient du transport de fonds et de la protection rapprochée de riches citoyens de la province. Le système des Biaoju est demeuré présent en Chine jusqu’à la Révolution chinoise de 1948 mais de manière marginale à cause de l’apparition du train qui a sécurisé le transport de biens et de marchandises. La Chine communiste se réappropriera l’ensemble des prérogatives de sécurité et de défense en en faisant le monopole unique du Parti. Durant les années Mao puis celles de Deng Xiao Ping la charge de la protection des biens et infrastructures chinoises en dehors des frontières revenait à l’Etat. Jusqu’en 1984, seules quatre entreprises chinoises étaient autorisées à opérer à l’étranger. Toutes étaient affiliées à des agences gouvernementales.

En 1980, le président Deng Xiao Ping engage des réformes économiques et crée quatre zones économiques spéciales sur la côte sud-est de la Chine. Le premier test comprenait ce qui était alors les petites villes de Shenzhen, Zhuhaï, et Shantou dans la province du Guangdong et Xiamen dans la province du Fujian. Dans ces zones, les gouvernements locaux ont été autorisés à offrir des incitations fiscales aux investisseurs étrangers et à développer leurs propres infrastructures sans l’approbation du gouvernement central. Devant le succès de cette mesure, le Gouvernement chinois a décidé en 1984 de l’étendre à 14 grandes villes côtières dont Shanghai. Cette même année la première société de sécurité privée est créé à Shenzen dans l’une des branches du Bureau de la sécurité publique.

En 1984, le premier équivalent chinois d’un PSC a été créé dans l’une des branches du Bureau de la sécurité publique à Shenzhen. En 1986 fut créé la Beijing Security Service General Company ; cette entreprise de sécurité existe encore à ce jour et emploie 77000 hommes. Ses missions sont essentiellement tournées vers le marché intérieur chinois. En 1994 sera créé la Shandon Huawei Security Group, première société chinoise de sécurité à travailler à l’étranger et à accompagner des entreprises chinoises à l’export. Elle est toujours en activité, essentiellement en Afrique à travers la protection des projets miniers et pétroliers et les projets d’infrastructures.  Un an plus tard sera créé la China Security and Protection Group, qui deviendra plus tard le principal protecteur du BRI.

En septembre 2009, le Conseil d’État Chinois a publié le “Règlement sur l’administration des services de sécurité et des services de gardiennage” (保安服务管理条例, Baoan Fuwu Guanli Tiaoli). Cette mesure était la première tentative gouvernementale de poser un cadre réglementaire pour le secteur de la sécurité privée, et a légalisé de facto les CSP. La réglementation reconnaît deux principales catégories de CSP: D’abord les “sociétés de sécurité” (保安服务公司, baoan fuwu gongsi). Elles ont des missions de formation, de gardiennage et de conseil en évaluation et mitigation de risques. Leur personnel est doté d’armes de défenses non létales.  Ensuite les “sociétés de sécurité fournissant des services d’escorte armée” (从事武装守护押运服务的保安服务公司, congshi wuzhuang shouhu yayun fuwu de baoan fuwu gongsi). Ce type de compagnies a le droit d’équiper ses employés certifiés en armes de guerre mais pas de matériel ou de véhicules militaires lourds. Ce cadre juridique ne précisait pas la nature des activités de ces sociétés à l’étranger mais il a permis l’ouverture de centaines de petites sociétés et le renforcement des plus grandes.

Le lancement de la BRI en 2013 a révélé de nouveaux défis et a complètement fait évoluer le paradigme sécuritaire extérieur chinois. Le nombre de CSP chinoises et celui de leur personnel varie d’une étude à l’autre. Le turnover énorme dans les petites sociétés de gardiennages contribue à brouiller les pistes. Pour Alessandro Arduino, qui a écrit de nombreux ouvrages sur la Chine et sur le marché de la sécurité dans ce pays, il ne faudrait pas regarder le chiffre des quatre ou cinq millions de personnes qui travaillent dans le marché local et les 6000 CSP où ils travaillent mais plutôt le nombre de CSP qui opèrent à l’étranger. Pour Arduino, le petit nombre de CSP chinois qui a pu obtenir des certifications internationales est dû à plusieurs facteurs: la barrière linguistique (le bas niveau des opérateurs de manière plus étendue), les difficultés techniques et le coût d’obtention d’une licence ou d’une certification internationale et le fait qu’en Chine, les CSP sont dans une course vers le bas en termes de coûts et de rentabilité. Cette tendance reflète également le manque de volonté des entreprises chinoises de payer un supplément pour des services de sécurité de haut niveau.

 

L’évolution de la doctrine chinoise de protection des intérêts à l’étranger

La Chine a toujours fait la promotion de cinq principes fondamentaux dans sa relation avec les pays étrangers, les « cinq principes de coexistence pacifiques » :

– Le respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté

– La non-agression mutuelle

– La non-ingérence mutuelle dans les affaires internes

– L’égalité entre les pays et le bénéfice mutuel

– La coexistence pacifique

Ces principes ont très vite fait face à l’accélération de l’Histoire et au gigantisme de l’ambition du commerce extérieur chinois dans sa conquête des marchés compliqués comme ceux de l’Afrique et du Moyen-Orient. Devant ce constat, les autorités de Pékin ont adopté d’abord une stratégie militaire supposée dissuader les attaques contre ses ressortissants et contribuer à la paix en intégrant les missions de stabilisation de l’ONU par l’envoi de contingents de casques-bleus.

L’apparition du terrorisme de masse après le 11 septembre 2001 a plongé le Moyen-Orient dans la guerre, exposant ainsi les compagnies pétrolières au danger. L’année 2004, une année cauchemar pour les chinois à l’étranger, marqua l’évolution de la perception de la population quant au devoir de protection des ressortissants chinois à l’étranger. La multiplication des incidents mortels a mis en évidence l’insuffisance du mécanisme d’urgence de protection consulaire de l’époque: le 4 février, 23 immigrants chinois ramasseurs de coquillages se noyèrent après avoir été pris par les marées dans la Baie de Morecambe[6], en Grande-Bretagne; en avril, sept travailleurs chinois ont été enlevés[7] alors qu’ils faisaient le trajet de Amman en Jordanie vers Bagdad, leur véhicule est tombé sur un barrage d’individus armés à Fallujah, en Irak ; en mai, 11 citoyens chinois qui travaillaient pour un projet de construction de route en Afghanistan ont été tués par les Talibans, près de Kunduz[8]. Entre mai 2004 et juillet 2007, quatre attaques ont ciblé le port de Gwadar au Pakistan, contrôlé par la Chine.[9]

Cetélectrochoc a poussé les autorités à créer, le 1er juillet 2004, le Département des affaires de sécurité extérieures au niveau du Ministère des Affaires étrangères[10]. Cette structure chargée de la protection consulaire jouera un rôle clé dans la stratégie de privatisation de la sécurité extérieure des ressortissants chinois. Ce département est d’abord parti du principe qu’il existait quatre catégories de pays d’accueil pour les entreprises et ressortissants chinois et qu’il fallait adapter la stratégie sécuritaire à la bonne catégorie pour ne pas affecter les relations interétatiques ou négliger la communauté chinoise.

(01) Pays ayant la volonté d’assurer la protection des ressortissants chinois et ayant les moyens de le faire, (02) pays ayant cette volonté mais manquant de moyens, (03) pays ayant les moyens d’assurer la sécurité mais où il y a peu de volonté de le faire et enfin (04) les pays n’ayant ni la volonté ni les moyens de le faire.

La première catégorie est formée de pays comme l’Egypte, l’Algérie, le Maroc, l’Iran et les anciennes Républiques Soviétiques. La seconde indique des pays comme l’Irak, le Pakistan, la Syrie, le Nigeria. La Troisième catégorie regroupe des pays ayant un conflit avec l’Etat central chinois comme l’Inde, la Thaïlande et le Vietnam. La dernière catégorie regroupe les pays qui connaissent une guerre civile comme l’Afghanistan ou la Libye. Même si le gouvernement chinois est prêt à faire ce qu’il peut pour protéger les intérêts à l’étranger, la protection consulaire seule est insuffisante et parfois peu efficace.

En 2006, le ministère chinois des Affaires étrangères a créé la division de la protection consulaire, dont la principale fonction est de coordonner le traitement des cas impliquant les droits légitimes des Chinois de l’étranger et des entreprises chinoises. Un an plus tard, cette division a été transformée en Centre d’assistance et de protection consulaires. En septembre 2014, le ministère des Affaires étrangères a créé le Centre d’appel d’urgence de la protection et du service consulaires mondiaux. Une hotline fonctionnant 24/7 pour répondre aux urgences à l’étranger.

En parallèle, la Chine a ouvert des représentations diplomatiques et consulaires dans la plupart des pays du Monde, et malgré ça, son taux de couverture diplomatique est resté très faible comparativement à celui des USA par exemple. Les sections consulaires Etats-uniennes couvrent en moyenne 5000 citoyens américains à l’étranger, 200 000 pour les consulats chinois. Ceci étant principalement dû au nombre de ressortissants chinois à l’étranger. Malgré sa montée en puissance, la stratégie consulaire de la Chine a vite montré ses limites, en particulier dans les pays à risque. En complément de ces efforts, les autorités de Pékin ont aussi choisi l’option militaire en accord avec ses principes de non-ingérence et de non-agression, qui limitent grandement l’armée chinoise dans ses opérations extérieures.

Deux options seront engagées, la première étant l’ouverture d’une base navale à Djibouti pour permettre à une force de réaction rapide de couvrir l’Afrique et le Moyen-Orient et d’assurer la protection maritime des navires marchands chinois ou en provenance de Chine contre la piraterie.

Pékin a choisi le 90èmeanniversaire de la fondation de l’Armée Populaire Nationale, le premier août 2017, pour couper le ruban de sa base militaire africaine. Son inauguration fait suite à l’accord sino-djiboutien de mai 2015. La Chine pourrait déployer sur place une force permanente d’un millier de soldats, avec une capacité d’accueil allant jusqu’à dix fois ce chiffre. Port, héliport et petite piste d’aviation font de cette première base militaire à l’étranger un hub logistique pour la gestion des urgences dans la région.

En 2021, la Chine a annoncé sa volonté de construire sa première base navale sur l’Océan Atlantique à Bata en Guinée Equatoriale, afin de contrôler le trafic maritime dans le Golfe du Guinée et de lutter contre la piraterie tout en veillant sur ses intérêts pétroliers et commerciaux dans cette zone vitale de l’Afrique.[11]

Deuxième stratégie adoptée par Pékin, une participation systématique aux missions humanitaires et de stabilisation. L’idée derrière tout cela étant de disposer de troupes à proximité des zones de danger pour les ressortissants chinois et aussi aider les pays à assurer leur propre sécurité. En effet, la Chine est devenue le deuxième plus grand contributeur financier pour le maintien de la paix de l’ONU en 2016[12]. En outre, les contributions en personnel de la Chine aux missions de maintien de la paix de l’ONU sont plus élevées que le total combiné des cinq autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. En novembre 2021, la contribution chinoise s’élevait à 2253 soldats, soit la dixième plus grande contribution au monde.

Un des gros succès chinois relatif à cet engagement onusien a été de donner beaucoup plus de chances aux officiels, diplomates et militaires chinois, de décrocher des postes de responsabilité au sein des institutions internationales ou à faire en sorte que le soutien de la Chine devienne incontournable à quiconque voudrait y accéder. Il a aussi permis d’exercer une influence positive sur les pays du tiers-monde dans une perspective de multilatéralisme mais aussi pour défendre les positions chinoises au conseil de sécurité de l’ONU. D’abord incompris par la population, cet engagement est devenu un véritable motif de fierté en interne. C’est aussi du point de vue de la collecte de renseignements un outil formidable pour l’armée et les services chinois. Néanmoins, cette stratégie a montré beaucoup de limites quant à la protection des ressortissants chinois en Afrique et dans les autres zones de tension dans le Monde:

– Le fait que les forces chinoises sous bannière de l’ONU, n’aient pas pour mandat de protéger les expatriés chinois.

– Le fait que ces forces soient sous commandement international limite fortement leur choix de localisation dans les pays cibles, qui ne sont pas toujours des emplacements utiles pour la couverture « consulaire » armée.

– Les missions de l’ONU réussissent rarement à faire réellement revenir la paix surtout celles qui ne sont pas sous Chapitre VII.

– Malgré la présence armée de casques bleus chinois, les principes de non-ingérence et d’amitié avec les Etats limitent l’interventionnisme militaire de Pékin à travers une présence de ses casques bleus.

– Les missions de l’ONU ne touchent pas tous les pays concernés par la présence de chinois.

Au vu de la politique de non-ingérence de la RPC, l’utilisation de sociétés militaires et de sécurité privées est une excellente façon de protéger les intérêts chinois à l’étranger en contournant les cinq principes de coexistence pacifique et d’éviter le recours à l’armée, de manière directe ou à travers l’ONU. Autre argument en faveur des SMSP par la Chine, la création d’une dénégation plausible concernant les efforts de l’État pour s’approprier des ressources naturelles et les investissements de la BRI et en Afrique.

 

Les premiers engagements militaires/paramilitaires chinois à l’étranger

Le 25 février 2011, en pleine guerre civile libyenne, la Chine lance une opération d’évacuation de ses ressortissants en Libye. Pour ce faire, elle affrète un ferry grec et envoi la frégate Xuzhou et deux avions cargos Il-76. L’opération a nécessité un niveau élevé de coordination inter-agences, les ministères du Commerce, des Affaires étrangères et de la Sécurité publique travaillant en étroite collaboration avec l’Administration de l’aviation civile de Chine et les responsables consulaires. En outre, les entreprises chinoises opérant en Libye, notamment la China National Petroleum Corporation (CNPC) et China Rail Construction, ainsi que les expéditeurs comme COSCO qui ont aidé à évacuer les citoyens chinois de Libye, ont coordonné étroitement leurs activités avec les organismes gouvernementaux susmentionnés. En tout, ce sont 36 000 travailleurs chinois qui ont pu quitter la Libye en un temps record et sans pertes ni blessés. [13] Très discrètement, on a vu le travail de coordination des sociétés de sécurité chinoises qui travaillaient pour les multinationales citées en haut, agir pour la première fois de manière ouverte et coordonnée avec les autorités.

En février 2012, 29 travailleurs chinois sont kidnappés au Sud Kordofan au Soudan. Leur sauvetage a attiré l’attention de l’opinion publique internationale sur deux CSP chinoises en particulier: VSS Security (伟之杰安保公司, Weizhijie Anbao Gongsi) et DeWe Security (北京德威保安服务有限公司, Beijing Dewei Baoan Fuwu Youxian Gongsi).[14] [15] En 2016 ces entreprises participent à l’évacuation de 300 travailleurs chinois au Sud Soudan. En 2018, une entreprise privée de sécurité du nom de Dewei Overseas envoie 600 hommes sur des sites de projets à l’étranger, travaillant pour des entreprises telles que China Road and Bridge Corporation, qui construit la voie ferrée Nairobi-Mombasa, ainsi que pour défendre CNPC au Soudan et Sinopec, les deux géants pétroliers chinois. Les agents de sécurité envoyés sont pour la plupart des soldats chevronnés qui ont servi dans les forces spéciales de l’APN. Parmi les entreprises répertoriées comme partenaires par Dewei, neuf sont des entreprises publiques chinoises, tandis que six sont des entreprises chinoises privées. Aucune entreprise non chinoise ne figure actuellement sur la liste des partenaires. La majorité de ces entreprises sont directement impliquées dans la BRI.[16]

 

Dans la lutte contre la Piraterie Maritime

Confrontée au phénomène de la piraterie maritime dans le détroit de Malacca et au large de l’Afrique de l’Est, la Chine s’est engagée militairement depuis 2008 dans la lutte contre ce phénomène en intégrant la coalition internationale de lutte contre la piraterie. Mais pour protéger la « Route de la soie maritime » les armateurs chinois, encouragés par leur gouvernement, ont très vite recours à une force armée privée composée de sociétés militaires chinoises qui embarquent des hommes sur leurs navires. Jusqu’à présent, Hua Xin est la seule société de sécurité maritime privée chinoise à avoir officiellement obtenu l’autorisation de mener des missions d’escorte armée à l’étranger avec la bénédiction du gouvernement sri-lankais et de l’ambassade de Chine au Sri Lanka. Il aurait depuis obtenu des licences des autorités nationales de Djibouti et d’Égypte pour fournir les mêmes services, d’autres rapports notant que Hua Xin a des « bases » similaires dans ces pays. Pour Hua Xin, ces licences semblent être utilisées pour escorter les transits à travers la zone à haut risque au large de la Somalie.[17] A cause de la législation stricte sur l’utilisation d’armes du gouvernement chinois, de nombreuses entreprises de sécurité chinoises qui opèrent dans le maritime utilisent les services d’  « armureries flottantes », des navires qui naviguent dans les eaux internationales et qui louent en échappant aux lois des pays.[18]

 

Quelles sont ces entreprises militaires/ de sécurité privées chinoises?

L’empreinte des entreprises de sécurité chinoises est très différente et se réfère généralement à la matrice que nous avions évoquée ci-dessus selon le rapport entre la volonté des Etats à protéger les ressortissants chinois et les moyens dont ils disposent. Leur travail sur le terrain sera plus ou moins visible selon la classification du pays dans lequel ils se trouvent et selon les législations locales permettant ou pas à des étrangers d’investir dans la sécurité. En Algérie par exemple, où cette activité est strictement réservée aux nationaux, les entreprises de sécurité chinoises opèrent en étant intégrées chez leur client ou dans le cadre de bureaux de consulting et de logistique. Sous couvert de gestion du parc automobile et de l’immobilier de l’entreprise chinoise à protéger, ils supervisent la liaison avec les autorités sécuritaires locales, escortes, convois, protection de sites sensibles ou en zone sensible (au nom du client final) et gèrent les partenaires de gardiennage et de sécurité locaux.[19]

Pour les autres régions d’Afrique, les CSP chinoises agiront comme suit:

– Égypte, Tunisie, Algérie, Maroc: Coopération avec les CSP locales et les forces de sécurité gouvernementales pour la protection des ambassades, le gardiennage des ports et des infrastructures et la réponse aux enlèvements avec demande de rançon (K&R). La formation des clients chinois se fait au préalable en Chine continentale. Une particularité pour l’Egypte, la présence de sécurités de protection maritime contre les pirates.

– La Libye, le Sahel et le Sud-Soudan : L’action des CSP est assimilée à celle de compagnies militaires privées avec utilisation d’agents armés si possible. Le recours aux sociétés de cette sorte est généralement pour la protection de mines et de sites pétroliers.

 

 

 

Nom Création personnelles Activité Couverture
Beijing DeWe Security Services Limited Company (德威安保有限公司) 2011 20 000[20] Entrainement, évaluation de risques, gardiennage, escortes, protection maritime, protection de sites 60 Pays dont Soudan Sud, Soudan et majorité des pays BRI
China Security and Protection Group (中安保实业有 限公司)

 

1994 30 000 Entrainement, évaluation de risques, gardiennage, escortes, protection maritime, protection de sites, protection des moyens de transports. Entreprise autorisée à utiliser des armes en Chine Principalement Chine mais aussi pays de la BRI
China Security Technology Group (中国 安 保 科 技 集 团) 2016 30 000 Protection technologique et armée, évaluation de sécurité, escortes armés Algérie [21] Soudan, Sud Soudan 30 Pays de la BRI

 

China Overseas Security Group (中国海外保安集 团) 2015 20 000 Sécurité physique, évaluation de risques, escortes. Pays de la BRI
Genghis Security Advisor (GSA)

 

2008 Unknown Formation de gardes du corps, sécurité de sites, escortes, cybersécurité. GSA dispose de personnel israélien et portugais Afrique, USA, Europe, Zone BRI
Hua Xin Zhong An (Beijing) Security Service (华 信 中 安 (北 京) 保安服务 有限公司)

 

2004 21 000 Sécurité maritime armée, gestion de rançons et enlèvements (K&R), sécurité technologique, sécurité de sites Pakistan, Ethiopie, Kenya et BRI
VSS Security (伟之杰安保公司) ou Weizhijie Security Company 2002 Unknown Sécurité maritime armée, gestion de rançons et enlèvements (K&R), sécurité technologique, sécurité de sites, formation, protection rapprochée, équipe d’intervention rapide armée Irak, Moyen-Orient, Zone BRI, Sud-Soudan, Soudan
Shandong Huawei Security Group (山 东华 威保安集团股 份有限 公司)

 

1993 6 000 Entrainement, évaluation de risques, gardiennage, escortes, protection maritime, protection de sites, protection des moyens de transports. Entreprise autorisée à utiliser des armes en Chine Afrique, Australie,
Zhongjun Junhong Security Service Co. Ltd (中 军军 弘 安 保 集团) 1987 30 000 Escortes armées de navires et lutte contre la piraterie Asie, Mer rouge, Océan indien, Afrique de l’Est

 

 

Les salaires dans les sociétés de sécurité chinoises sont assez bas, le niveau d’instruction est en dessous de la moyenne en Chine. Les entreprises de sécurité privée chinoises offrent généralement un tarif compétitif. Alors que la célèbre société de sécurité Academi paie un employé quelques milliers de dollars par jour, les sociétés de sécurité privées chinoises versent de 500 à 1000 dollars par mois. Selon un calcul approximatif, un détachement de sécurité chinois de 12 personnes ne coûte que 500 dollars par jour. Ce prix est comparable à celui des gardes privés locaux en Afghanistan et ne représente qu’un dixième de celui pratiqué dans les pays occidentaux.[22]

 

FSG un bug dans la matrice ou un modèle d’avenir?

Lorsqu’il y a eu l’annonce du lancement de la BRI en 2013, un homme avait compris que la Chine allait projeter des millions de ses ressortissants, des milliards de dollars, des milliers d’entreprises dans une centaine de pays où il n’y avait pas toujours de sécurité. Un saut vers l’inconnu qu’Erik Prince, fondateur de la société militaire privée américaine Blackwater, a vu comme une opportunité. Il disposait du savoir-faire nécessaire, des connexions locales et d’un plan, celui de contribuer militairement à la pacification de pays en crise, en fournissant les hommes et les équipements lourds (blindés, avions, bateaux…) et en ayant un cursus de formation pouvant très rapidement créer une armée moderne.

La même année donc, Prince s’allie à un des plus grands groupes économiques chinois, CITIC qui pèse un trillion de dollars, pour créer une société militaire privée dénommée Frontier Services Group (FSG) (先丰服务集团, Xianfeng Fuwu Jituan). Prince a été Président du conseil d’administration de FSG jusqu’à 2021 (remplacé depuis par l’israélien Ally Dorian Barak, son propre conseiller financier) et il détient 25% des actions de cette société. CITIC est un conglomérat financier appartenant à l’Etat Chinois, c’est donc une alliance réelle entre l’Etat chinois et le fondateur de Blackwater. FSG a été directement impliquée en Afrique du Nord pendant la guerre civile en Libye, du côté de Khalifa Haftar. Erik Prince avait fourni, avec un financement émirati, des avions agricoles transformés en bombardiers aux forces de la Libyan National Army [23]. En 2019 il avait tenté de monter une force héliportée et une Kill team, mais avait échoué[24]. Pour ses opérations en Afrique du Nord, Eric Prince et FSG ont choisi Malte comme plateforme-logistique et de commandement.[25] En Chine, et en collaboration avec les services de sécurité, il a construit un centre de formation en sécurité et en guérilla urbaine dans les Xinjiang.

Selon un communiqué de FSG, l’accord a été signé lors d’une cérémonie le 11 janvier 2019 à laquelle ont assisté des responsables du Xinjiang et des représentants de CITIC Guoan Construction. L’accord suggère que FSG investisse 600 000 dollars pour ce centre, qui sera capable de former 8 000 personnes par an. En 2017, la filiale chinoise d’Erik Prince avait ouvert l’International Security Defense College à Pékin, qui visait à devenir « la plus grande école privée de formation à la sécurité en Chine » et former le personnel des entreprises chinoises qui avaient des activités en Afrique et en Asie Centrale. En 2018, des sources ont déclaré à Arabi21 que la société de sécurité Frontier Services Group dirigée par Erik Prince, qui dirigeait auparavant la société de sécurité Blackwater, avait récemment envoyé des combattants de la région kurde d’Irak en Libye pour combattre aux côtés de Haftar, à la suite d’un accord secret.[26] En plus de ses activités en Afrique du Nord, FSG protège les intérêts miniers et pétroliers chinois dans plusieurs régions d’Afrique, on retrouve les hommes de cette société et ses moyens logistiques au Nigeria, au Mozambique et au Sud-Soudan.

 

Challenges et avenir des SMP chinoises

Malgré leur rapide progression, les sociétés militaires et de sécurité chinoises font face à de nombreux challenges. Le premier étant la mauvaise qualité de la formation des agents de sécurité, la barrière de la langue et le manque d’ouverture vers d’autres nationalités. Il est pour le moment impossible (en dehors du cas de FSG) de trouver une société militaire privée chinoise ayant des capacités opérationnelles telles que celles de Blackwater/Academi ou de Wagner Group. Des capacités nécessitant une montée en puissance en matière de logistique et de formation qui n’est pas encore d’actualité pour les sociétés chinoises.

Le second étant lié aux salaires du personnel. Trop bas, ces salaires ne favorisent pas l’émergence d’une élite de niveau mondial et ne donnent pas envie aux professionnels du secteur de rejoindre les entreprises chinoises.

Le troisième est lié à la législation chinoise qui est peu adaptée au contexte mondial des sociétés militaires privées (statut non reconnu par la loi en Chine).  Une législation sur les armes qui est très restrictive, même pour les entreprises ayant des licences (Loi de la RPC sur le contrôle des armes à feu” (中华人民共和国枪支管理法, Zhonghua Renmin Gongheguo Qiangzhi Guanli Fa) adoptée en 1996 n’autorise que l’APL, la police et la milice à posséder des armes).

Enfin, en l’absence d’une stratégie bien tracée, les sociétés militaires et de sécurité privées manquent de flexibilité, obéissent uniquement au déploiement de leurs clients chinois et ne vont pas sur le marché international de la sécurité au profit d’autres sociétés ou intérêts.

 

Conclusions

L’avenir semble sourire aux sociétés militaires et de sécurité chinoises. Le manque de perspectives de déploiement massif de l’Armée populaire de libération à l’étranger et le besoin constant en matière de sécurité pour les ressortissants chinois font que le recours aux SCP sera prépondérant. La Chine devrai aussi faire en sorte de gérer la carrière après retraite de ses élites militaires et de ses soldats ; Ces derniers représentent 57 millions de personnes à insérer dans un tissu économique très dynamique.

Stratégiquement, Pékin devra faire un choix entre le modèle russe des sociétés militaires privées, qui est basé sur la géopolitique, un travail dans l’illégalité et une approche militaire, ou un modèle occidental, sécuritaire, légal mais orienté avant tout sur la génération de profit. La solution pourrait être hybride avec l’adoption des deux orientations avec une multiplication des acteurs et des alliances. Mais ce qui est certain c’est que les sociétés militaires chinoises joueront un rôle géopolitique important d’ici 2030.

 

 

[1]  Bartlett, David (1997). The Political Economy of Dual Transformations: Market Reform and Democratization in Hungary. University of Michigan Press. p. 280. ISBN 9780472107940.

[2] Chatzky and McBride, “China’s Massive Belt and Road Initiative.”

[3] https://visionofhumanity.org/wp-content/uploads/2020/11/GTI-2020-web-1.pdf

[4] Yang, “Overcoming Difficulties in Protecting Overseas Interests.”

[5] https://internalmartialart.wordpress.com/2015/11/21/biaoju-%E9%95%96%E5%B1%80-security-companies/

[6]https://en.wikipedia.org/wiki/Morecambe_Bay_cockling_disaster#:~:text=The%20Morecambe%20Bay%20cockling%20disaster,cockles%20off%20the%20Lancashire%20coast.

[7] https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/mystery-surrounds-chinese-peasants-kidnapped-on-the-road-to-baghdad-559810.html

[8] http://www.china.org.cn/english/international/97850.htm

[9] https://www.jstor.org/stable/45242422

[10] http://jm.chineseembassy.org/eng/xw/200512/t20051228_4270146.htm

 

[11] https://www.maritime-executive.com/article/why-equatorial-guinea-may-host-china-s-first-atlantic-naval-base

[12] United Nations Peacekeeping, ‘Troop and Police Contributors’, https://peacekeeping.un. org/en/troop-and-police-contributors.

[13] Xinhua 24 février 2011

[14] https://mil.huanqiu.com/article/9CaKrnJCPB8

[15] China Faces New Threats Abroad – WSJ

[16] Chinese Private Military Security Companies in Contemporary Africa M.B. Van Meele

[17] https://warontherocks.com/2020/06/who-guards-the-maritime-silk-road/

[18] https://www.bbc.com/news/world-africa-30512185

[19] Interview d’un responsable de société de gardiennage algérienne

[20] 0Khan Raphaëlle, « Le Sri Lanka, l’Inde et le Pakistan face à la Belt and Road Initiative chinoise », Étude n°71, IRSEM, novembre 2019, Paris

[21] LES SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES CHINOISES Valère LLOBET1 C2FR

[22] Private Security Companies Emerging Protectors of China’s Overseas Interests – Xin Tian

[23] https://medium.com/war-is-boring/erik-princes-mercenaries-are-bombing-libya-88fcb8e55292

[24] https://www.middleeasteye.net/fr/actu-et-enquetes/libye-haftar-mercenaires-occidentaux-emirats-prince

[25] https://www.globenewswire.com/news-release/2014/11/17/1236402/0/en/Frontier-Services-Group-Sets-Up-Operations-in-Malta.html

[26] https://northafricapost.com/30417-libya-foreign-mercenaries-recruited-for-haftar-by-security-company.html

 

Le contenu de ce texte n’exprime pas forcément la position de RLS