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Réforme de l’Administration ou prémices de l’égyptianisation de l’Algérie ?

Article par Akram Kharief / RLS

 

L’Algérie a la réputation d’être un pays où l’influence de l’armée dans la décision politique est grande. Pourtant la rupture organique entre l’Etat-major militaire et le pouvoir politique date de la révision constitutionnelle du 18 février 1989, qui a instauré le multipartisme de manière officielle et qui a officiellement consacrée le multipartisme, notamment à travers la possibilité instaurée de créer des associations à caractère politique (ACP), mettant donc progressivement fin à l’existence du Front de Libération Nationale en tant que parti unique. Ce sera aussi la date de la sortie de l’ANP (Armée nationale populaire) du bureau politique du parti au pouvoir et donc la fin de la présence de militaires dans l’appareil politique civil.

Ce rapport civil-armée connaitra des phases de tensions qui se sont exprimés parfois par la force. Comme lors de l’interruption du processus électoral en 1991 suite à la démission, fortement suggérée par l’armée, du Président Chadli Bendjedid[1], ou le 2 avril 2019 lors de la proposition, fortement soutenue, du Président Abdelaziz Bouteflika par le chef d’Etat-major, le général Ahmed Gaid Salah[2].

Mais en 35 ans de pluralisme politique en Algérie, jamais un militaire d’active n’a occupé un poste dans l’administration ou n’a exercé un rôle politique effectif, à l’exclusion du poste de vice-Ministre de la Défense qui a été occupé à quelques reprises par des militaires.

En terme de relation peuple-armée, les rapports ont été bons, malgré la décennie noire et l’insurrection islamiste qui a fait des dizaines de milliers de morts, l’ANP a su garder son caractère populaire et ouvert à l’ensemble des catégories sociales et populaires.

La réouverture en 2009 des Ecoles des cadets de la nation et l’affluence exceptionnelle à la rentrée sociale au niveau des écoles militaires, sont une des manifestations de cette bonne relation.

Dans les domaines économiques, l’ANP et ce jusqu’à 2010, s’est contentée d’investir dans des usines à la munition et les armes légères, l’habillement et la nourriture et tout ce qui est lié à l’armée. A partir de 2010 et au vue des résultats du Printemps Arabes, des guerres civiles en Libye et en Syrie, l’ANP a lancé un ambitieux projet de fabrication militaire qui visait à localiser la production d’équipements sensibles et donc réduire le recours à l’importation.

La crise politique de 2019 a poussé le chef d’Etat-major de l’époque à entreprendre des mesures politico-économiques spectaculaires pour donner à l’armée l’image d’une institution puissante et influente. Parmi ces mesures des OPA sur des entreprises publiques en difficulté, comme le géant de la construction mécanique SNVI dont le passage sous le giron de l’ANP avait été engagé à cette époque et concrétisé début 2020[3].

Le décès d’Ahmed Gaid Salah fin décembre 2019 [4]et l’arrivée au pouvoir du Président Abdelmadjid Tebboune au même moment on fait franchir une nouvelle étape à la houleuse relation Etat-major/Présidence. Une étape plus calme avec la venue du Général Saïd Chengriha qui n’a pas montré de visées politiques et qui n’a pas manqué de se montrer avec le Président Tebboune lors des grandes occasions. Un équilibre entre le politique, le militaire et l’économique qui sera préservé jusqu’au 8 juillet 2024 et la parution au Journal Officiel, du décret présidentiel N°24-218[5], qui autorise et fixe les modalités de placement des militaires de carrière et contractuels en position de détachement auprès des administrations civiles publiques.

Ce décret, qui a surpris tout le monde, n’a pas été débattu à l’assemblée nationale et au sénat et semble être du fait du Président Tebboune, qui brigue un second mandat le 6 septembre 2024.

Le décret présidentiel n° 24-218 du 27 juin 2024 fixe les conditions et modalités de détachement des personnels militaires de carrière et contractuels auprès des administrations civiles publiques. En résumé ce décret vise à organiser le placement des militaires dans des postes civils, afin de profiter de leurs compétences dans divers secteurs de l’administration publique.

Ce détachement a lieu à demande d’une autorité civile, évaluée et approuvée par le ministre de la Défense nationale. Il est limité à une année renouvelable, jusqu’à trois ans, et peut être prolongé avec l’accord du ministre de la Défense nationale. Ces personnels militaires détachés doivent continuer à respecter les règlements militaires tout en se conformant aux exigences de l’administration civile. Ils sont évalués régulièrement et leur carrière reste gérée par le Ministère de la Défense. Le détachement peut être interrompu pour diverses raisons, y compris la fin de la période de détachement, l’initiative du ministre de la Défense ou sur demande du personnel détaché. Une demande de fin de détachement requise par l’autorité civile n’est pas mentionnée par le décret.

En soi, ce texte de loi n’est pas dénué de bon sens. Il présente quelques bons arguments qui vont dans le sens de son application. Par exemple le détachement permet d’exploiter les compétences et l’expérience des militaires dans des secteurs civils nécessitant une expertise en sécurité et en gestion, améliorant ainsi l’efficacité des administrations publiques. S’il y a besoin, il contribue au renforcement des Liens Civil-Militaire et ce en intégrant les militaires dans les administrations civiles, le décret peut renforcer les liens entre les institutions civiles et militaires, favorisant une coopération accrue et une compréhension mutuelle. D’autant plus que l’armée montre un intérêt grandissant pour le domaine de l’économie et par son budget (plus de 18 milliards de dollars), pourrait se transformer en investisseur majeur.

En outre ce décret permet aux cadres militaire de bénéficier de leur expérience dans la gestion des affaires civiles. En offrant une flexibilité dans la gestion des ressources humaines, il permet aux militaires d’acquérir de nouvelles compétences et expériences en dehors du cadre militaire traditionnel, ce qui peut enrichir leur carrière et leur développement professionnel et préparer leur retraite ou leur passage à la vie civile.

D’autres avantages pourraient être trouvés dans cette mesure, comme par exemple le transfert de certaines compétences se trouvant dans l’armée au niveau de l’administration. Un renforcement de la coordination entre l’armée et l’administration dans certains secteurs, comme par exemple la gestion des catastrophes naturelles. Enfin l’armée recèle de véritable experts dans certains domaines, comme la logistique ou les télécommunications par exemple qui pourraient contribuer aux aspects techniques dans le secteur public.

Pour ce qui est des arguments contre l’application de ce décret, il est clair que ce passage en force politique de la part du chef de l’Etat est en contradiction totale avec l’esprit de la démocratie dont il ne cesse de faire la promotion depuis son élection à la tête du pays en décembre 2019. Même si la constitution lui accorde le droit de légiférer directement, le Président aurait, au vu de l’importance de la mesure, dû provoquer un débat parlementaire ou du moins consulter les représentants du peuple. Il aurait aussi dû faire un effort d’explication du texte, de l’ampleur que prendra cette décision et de la durée de son application.

En termes concrets, le texte comporte quelques dangers en cas de mauvaise application, parmi lesquels :

Un risque de déséquilibre entre pouvoir civil et militaire. Ce décret pourrait permettre une influence accrue de l’armée dans les sphères civiles de l’État. Par exemple, si des officiers supérieurs sont détachés à des postes clés dans des ministères stratégiques comme l’Énergie ou les Finances, cela pourrait affecter l’équilibre des pouvoirs et la prise de décision dans ces domaines cruciaux. D’autant qu’il sera encore plus difficile d’obtenir des comptes de ces administrateurs provisoires.

Un manque d’expertise civile spécifique. Bien que les militaires aient une expertise dans certains domaines, ils peuvent manquer de compétences spécifiques nécessaires dans l’administration civile. Par exemple, un officier détaché au ministère de l’Éducation pourrait ne pas avoir l’expérience pédagogique nécessaire pour contribuer efficacement à l’élaboration des politiques éducatives. De manière générale, la gestion de la ressource humaine est très différente que l’on soit dans l’armée ou dans la fonction publique, il en va de même de la gestion des doléances ou du contact avec le citoyen.

On en parle peu mais ce décret représente aussi réduction des opportunités pour les fonctionnaires civils et une concurrence au marché du travail. L’introduction de militaires dans l’administration civile pourrait limiter les possibilités d’avancement pour les fonctionnaires de carrière. Par exemple, si des postes de direction au sein du ministère de l’Intérieur sont régulièrement attribués à des militaires détachés, cela pourrait démotiver les fonctionnaires civils aspirant à ces postes.

L’application du texte de manière étendue pourrait en outre provoquer un potentiel conflit de loyauté hiérarchique, quand bien même il est clairement mentionné qu’il s’agit de l’intégration de postes au sein de structures préexistantes, il est difficile de s’assurer que ces officiers ne se retrouvent pas dans des situations de conflit entre leurs obligations envers leur hiérarchie militaire et les exigences de leur poste civil. Par exemple, un officier détaché au ministère des Affaires étrangères pourrait hésiter entre suivre les directives diplomatiques civiles et les considérations stratégiques militaires, même si l’exemple est théorique. En outre la gestion de personnels ayant un statut hybride pourrait créer des complications administratives, notamment en termes de gestion des ressources humaines, de rémunération et d’évaluation des performances, cette dernière partie étant probablement la plus importante.

Il est aussi difficile de prédire l’impact, qu’aura une application de ce décret, sur la perception publique de l’administration. Cela dépendra des résultats et de la visibilité des personnels militaires détachés. Bien que jouissant d’une popularité certaine et d’une bonne réputation auprès de la population. La présence visible de militaires dans l’administration civile pourrait être perçue négativement par certains citoyens, craignant une militarisation de l’État ou la disparition d’une certaine flexibilité de l’administration, mais par-dessus tout, confronter des militaires à des problématiques administratives, difficiles à résoudre, et visibles par le public, pourrait nuire à la réputation de l’armée.

Dans la même logique mais sur un autre plan, l’implication de militaires dans l’administration civile pourrait les exposer davantage aux enjeux politiques, risquant de compromettre la neutralité politique traditionnellement attendue de l’armée.

La culture militaire, souvent caractérisée par une forte hiérarchie et des procédures rigides et une aversion au risque pourrait entrer en conflit avec les besoins d’innovation et de flexibilité de certaines administrations civiles, freinant potentiellement les réformes nécessaires.

Les liens étroits entre militaires pourraient conduire à des situations de favoritisme au sein de l’administration civile, au détriment de processus de recrutement et de promotion basés sur le mérite. Ce risque préexistant dans l’administration pourrait se voir accentuer.

Enfin la culture du secret souvent associée aux affaires militaires pourrait entrer en conflit avec les exigences de transparence de l’administration civile, notamment dans des domaines sensibles comme la gestion budgétaire ou les marchés publics. De manière plus simple, il est beaucoup plus compliqué de demander des comptes à un militaire qu’à un civil, d’autant que la responsabilité judiciaire en cas de faute n’est pas bien définie dans les textes.

Ces arguments soulignent les défis potentiels que l’application de ce décret pourrait poser pour la gouvernance en Algérie, sans faire référence à des situations spécifiques d’autres pays. Ils mettent en lumière l’importance de maintenir un équilibre délicat entre l’utilisation de l’expertise militaire et la préservation de l’intégrité et de l’indépendance de l’administration civile ou sa construction si elle est jugée défaillante.

 

Le cas de l’Algérie n’est pas unique, il serait intéressant de le confronter par exemple à l’expérience égyptienne de ces dernières années.

 

L’exemple de l’armée égyptienne montre plusieurs inconvénients potentiels liés à une implication excessive des militaires dans les affaires civiles. Même si les traditions ne sont pas semblables dans les deux pays, il est intéressant de regarder le substrat produit par l’expérience égyptienne :

Contexte Historique et Expansion Économique de l’Armée Égyptienne

Depuis les années 1950, sous la présidence de Gamal Abdel Nasser, l’armée égyptienne a progressivement accru son implication dans l’économie nationale. Cette tendance s’est intensifiée sous le régime de Hosni Moubarak et a atteint des niveaux sans précédent après la révolution de 2011 et l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi. Le livre de Yezid Sayigh, “Owners of the Republic: An Anatomy of Egypt’s Military Economy,” offre une analyse exhaustive de cette évolution.

On en retient trois problématiques majeures :

  1. Risque de Militarisation de l’Économie : En Égypte, l’armée s’est profondément impliquée dans l’économie civile, ce qui a mené à un contrôle significatif de secteurs économiques stratégiques par les militaires. Cela peut créer des déséquilibres économiques et favoriser des pratiques de corruption et de népotisme​ [6]
  2. Manque de Transparence et de Responsabilité : La gestion des entreprises militaires égyptiennes manque souvent de transparence et de responsabilité, ce qui peut conduire à des abus de pouvoir et à une inefficacité économique. Les activités économiques militaires échappent souvent à la surveillance et à la régulation civiles, exacerbant les problèmes de gouvernance [7]
  3. Déformation du Marché : La forte présence de l’armée égyptienne dans l’économie a tendance à déformer le marché en favorisant les entreprises militaires au détriment des acteurs privés civils. Cela peut décourager l’investissement privé et nuire à la concurrence équitable, ce qui est essentiel pour une économie saine et dynamique [8]

Il n’y a pas que l’Egypte comme exemple, d’autres pays se sont essayé au mode d’administration mixte et ont connu des résultas similaires.

Au Chili

Pendant la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990), les forces armées chiliennes ont joué un rôle central dans l’économie. Elles contrôlaient des entreprises nationales et participaient activement à des activités économiques. Cette période a été marquée par des privatisations massives et une libéralisation économique qui ont profité à une élite restreinte, tandis que la majorité de la population a souffert des inégalités croissantes et de la répression politique.

Le cas du Chili de Pinochet offre un exemple convaincant des dangers et des inconvénients potentiels liés à l’implication de l’armée dans la sphère économique.  Sous le régime de Pinochet, l’armée chilienne a non seulement exercé un pouvoir politique important, mais elle a également joué un rôle central dans la transformation économique du pays, en menant une série de réformes néolibérales qui ont remodelé le paysage économique de la nation. [9]

Si les partisans de ce modèle ont souvent présenté la croissance économique et l’intégration du Chili dans le marché mondial comme une réussite, un examen plus approfondi révèle un tableau plus complexe et plus inquiétant.

L’une des principales préoccupations liées à l’implication économique de l’armée au Chili était le manque de transparence et de responsabilité.  Le réseau politique étroit qui s’est développé entre les fonctionnaires et les représentants des entreprises, tout en facilitant la négociation d’accords commerciaux, a également contribué à l’exclusion d’acteurs sociétaux plus larges du processus de prise de décision.[10]

En outre, le contrôle exercé par l’armée sur les industries stratégiques et les entreprises publiques a suscité des inquiétudes quant au risque de corruption, de copinage et de concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques-uns[11].

L’influence considérable de l’armée sur l’économie a également eu de profondes répercussions sur la stabilité politique et sociale du pays.

La répression de la dissidence, la réduction des libertés civiles et la violation systématique des droits de l’homme sous le régime de Pinochet étaient toutes étroitement liées au désir de l’armée de maintenir son emprise sur le pouvoir et de façonner la trajectoire économique du pays (Fermandois, 2011)(Bull, 2008)(Bernal-Meza, 2005).[12][13][14]

Les conséquences à long terme de ce lien militaro-économique sont encore à l’étude, alors que le Chili continue de naviguer dans l’héritage du régime de Pinochet et les défis de réconciliation entre son passé autoritaire et son présent démocratique.

Le cas du Chili de Pinochet sert de mise en garde, soulignant l’importance de maintenir une séparation claire entre l’armée et l’économie, et la nécessité d’institutions démocratiques solides, de transparence et de responsabilité pour se protéger contre les pièges et les périls de l’implication militaire dans la sphère économique.

 

La Birmanie sous l’étau de la Tatmadaw

En Birmanie, l’armée (Tatmadaw) a maintenu un contrôle étroit sur l’économie pendant des décennies. Elle possède de nombreuses entreprises dans des secteurs clés tels que le jade, le pétrole et le gaz, et la construction. Cette domination économique a contribué à la perpétuation du pouvoir militaire et à l’exclusion des civils de la prise de décision économique et politique, ce qui a conduit à des conflits internes et à une gestion économique inefficace.

Le régime militaire du Myanmar a su tirer parti des intérêts économiques, sécuritaires et géostratégiques de la Chine et de l’Inde dans le pays pour atteindre ses objectifs en matière de développement et de sécurité[15]. Cela a permis à la Tatmadaw de consolider son pouvoir et de maintenir son contrôle sur l’économie et les ressources du pays, ce qui a renforcé le régime militaire et exclu la participation des civils à la prise de décision.

Le contrôle de l’économie du Myanmar par l’armée a eu de graves conséquences pour la population civile. Elle a exposé davantage de civils à diverses menaces pour la sécurité humaine, telles que la violence, le déplacement et l’exploitation économique, avec de graves répercussions sur les familles et les communautés[16].

En conclusion, la domination économique prolongée du Tatmadaw au Myanmar a contribué à la perpétuation du régime militaire, à l’exclusion des civils de la prise de décision économique et politique, à l’émergence de conflits internes et à une gouvernance inefficace. La capacité de l’armée à tirer parti de sa position stratégique entre la Chine et l’Inde, ainsi que la couverture diplomatique dont elle bénéficie de la part de ses partenaires économiques étrangers, lui ont permis de résister à la pression internationale et de maintenir son emprise sur le pouvoir. Cette situation a eu de graves conséquences pour la population civile, l’exposant à des menaces pour la sécurité humaine et compromettant le développement et la prospérité du pays.

 

La Turquie des années 80, un trou noir politico-militaire

 

Après le coup d’État militaire de 1980 en Turquie, le Conseil de sécurité nationale (MGK) a intégré l’armée dans la gestion économique et politique du pays[17]. Cette décision a consolidé le rôle de l’armée en tant qu’acteur clé dans l’élaboration de la gouvernance de la Turquie, au-delà même de ses fonctions traditionnelles en matière de sécurité. Malgré les réformes ultérieures visant à réduire l’influence militaire, les forces armées turques continuent de conserver des intérêts économiques importants par l’intermédiaire de la Fondation des forces armées turques (TSKGV), qui détient des participations dans diverses entreprises. Cette situation a créé des tensions persistantes entre les dirigeants civils et les militaires et a empêché le développement d’une gouvernance véritablement transparente et responsable en Turquie.

 

L’implication de l’armée dans l’économie et la politique a été une question controversée en Turquie, avec des débats permanents entre les pro-occidentaux et les conservateurs[18]. Les pro-occidentaux ont plaidé pour un système éducatif modernisé et laïque aligné sur les valeurs occidentales, tandis que les conservateurs ont fait pression pour une approche plus traditionnelle mettant davantage l’accent sur les principes religieux[19]. En outre, les élites dirigeantes en Turquie ont cherché à exercer un contrôle sur le flux d’informations, notamment en recourant à des affaires judiciaires et en attaquant les entreprises de médias, afin de privatiser la gouvernance et de maintenir leur position hégémonique[20].

Les tensions entre le contrôle civil et militaire de l’économie et de la politique ont également eu des répercussions négatives sur les relations extérieures de la Turquie. Les intérêts économiques et l’influence politique de l’armée sont parfois entrés en conflit avec les efforts déployés par le pays pour s’aligner sur les normes et les institutions démocratiques occidentales, ce qui a créé des frictions et compliqué son positionnement géopolitique[21].

Dans l’ensemble, l’influence persistante de l’armée turque dans les sphères économiques et politiques a constitué un obstacle majeur au développement d’une gouvernance démocratique solide dans le pays.

Conclusion

Le décret présidentiel n° 24-218 présente des avantages potentiels mais soulève aussi de sérieuses inquiétudes quant à l’équilibre des pouvoirs et la bonne gouvernance en Algérie. D’un côté, il permet de valoriser l’expertise des militaires dans certains domaines techniques et de renforcer les liens entre institutions civiles et militaires. Cela peut contribuer à une administration plus efficace et une meilleure coordination interinstitutionnelle, notamment en cas de crises ou de catastrophes. De plus, ce détachement offre aux militaires de nouvelles perspectives de carrière et de développement professionnel.

Cependant, les risques d’une application étendue de ce texte sont nombreux et préoccupants. Il existe un danger réel de déséquilibre entre pouvoir civil et militaire si des officiers supérieurs occupent des postes clés dans l’administration. Cela pourrait affecter la prise de décision dans des secteurs stratégiques comme l’économie ou la diplomatie. De plus, les militaires peuvent manquer de compétences spécifiques requises dans certains domaines civils comme l’éducation ou la santé.

Le décret soulève aussi des questions de loyauté hiérarchique et de gestion des ressources humaines pour ces personnels au statut hybride. Leur présence visible dans l’administration pourrait nuire à la réputation de l’armée si ces officiers sont confrontés à des problèmes complexes et médiatiques. Enfin, la culture militaire de hiérarchie et de secret peut entrer en conflit avec les besoins d’innovation et de transparence de l’administration civile.

L’exemple de l’implication croissante de l’armée dans l’économie égyptienne montre les dérives possibles d’un tel processus : accaparement de secteurs clés par les militaires, favoritisme, opacité des marchés publics, etc. Bien que les contextes soient différents, ces écueils méritent d’être sérieusement pris en compte par les autorités algériennes.

En conclusion, si le décret vise à améliorer l’efficacité de l’administration, son application doit rester limitée et encadrée pour préserver l’équilibre des pouvoirs et la bonne gouvernance. Une concertation avec la société civile et le parlement aurait été souhaitable avant sa promulgation. Une évaluation régulière de son impact sera nécessaire pour ajuster le dispositif et éviter les dérives autoritaires ou corporatistes. L’Algérie doit tirer les leçons de l’expérience égyptienne et trouver le juste équilibre entre expertise militaire et intégrité de l’État civil.

[1] https://www.lexpression.dz/chroniques/l-envers-du-decor/eclairage-sur-la-demission-de-chadli-161836

 

[2] https://inter-lignes.com/il-a-denonce-des-entites-non-constitutionnelles-gaid-salah-impose-la-demission-immediate-de-bouteflika/

 

[3] https://radioalgerie.dz/news/fr/article/20200215/189745.html

 

[4] https://www.middleeasteye.net/fr/en-bref/algerie-deces-du-general-ahmed-gaid-salah-puissant-chef-detat-major-de-larmee

 

[5] https://www.joradp.dz/FTP/jo-francais/2024/F2024046.pdf

 

[6] Yezid Sayigh, “Owners of the Republic: An Anatomy of Egypt’s Military Economy,”

 

[7] Ibid

[8] Ibid

 

[9] Leight, J. The Political Dynamics of Agricultural Liberalisation in the US-Chile Free Trade Agreement. Cambridge University Press

[10] Bull, B. Policy Networks and Business Participation in Free Trade Negotiations in Chile. Cambridge University Press

[11] Leight, J. The Political Dynamics of Agricultural Liberalisation in the US-Chile Free Trade Agreement. Cambridge University Press

 

[12] Bull, B. Policy Networks and Business Participation in Free Trade Negotiations in Chile. Cambridge University Press

 

[13] Fermandois, J. Pragmatism, Ideology, and Tradition in Chilean Foreign Policy Since 1990

[14] Bernal-Meza, R. Chili, un modèle périphérique d’insertion internationale?

[15] Smith, M J. The Enigma of Burma’s Tatmadaw: A “State Within a State”. Taylor & Francis

[16] Fink, C. Militarization in Burma’s ethnic states: causes and consequences. Taylor & Francis

[17] Al-Hilu, K. Afrin under Turkish control : political, economic and social transformations

[18] Demirdağ, S., & KHALIFA, M K M. The Effects of Westernization Efforts on the Turkish Education System.

[19] Ibid

[20] Coskuntuncel, A. Privatization of Governance, Delegated Censorship, and Hegemony in the Digital Era.

[21] Al-Hilu, K. Afrin under Turkish control : political, economic and social transformations