L’essor de la militarisation : Conflit et crise du règlement politique en Algérie et au Sahel
Une généalogie des conflits actuels du Sahel, qui combinent la guerre djihadiste au Mali, au Burkina Faso et au Niger à la rébellion touarègue au Mali, ferait remonter leurs causes efficientes à deux pays d’Afrique du Nord, l’Algérie et la Libye. La cause efficiente, selon le philosophe Aristote, est celle qui lie les origines d’un phénomène aux formes qu’il prend : dans le cas d’espèce, l’origine des conflits du Sahel est à rechercher dans des problèmes non résolus au sein des pays du Sahel mais ils n’auraient pas éclaté de la manière dont ils l’ont fait sans des facteurs impliquant l’Algérie et la Libye. Ceci est bien connu dans le cas de la Libye, puisque les groupes armés touaregs qui ont lancé la rébellion séparatiste à l’origine des troubles, début 2012, étaient rentrés au Mali au terme de plusieurs années d’expatriation privilégiée en Libye. La Libye du colonel Kadhafi avait une politique sahélienne qui consistait notamment à aider à stabiliser cette région en modérant les ardeurs des militants touaregs séparatistes et en finançant l’islam soufi, considéré comme un frein à l’islam salafiste – celui auquel adhéraient les activistes islamistes au Sahel, même avant le conflit djihadiste actuel. La destruction du régime de Kadhafi aux mains d’insurgés soutenus par l’Occident, a mis fin à cette politique, et le choc s’est fait sentir au Sahel, notamment au Mali, aussi immédiatement que les flots qui se répandent une fois les vannes levées.
Le rôle de l’Algérie est moins connu, et pourtant les conflits du Sahel sont une conséquence directe du conflit algérien qui a commencé en 1992 et s’est prolongé jusqu’au milieu des années 2010, non sans s’être considérablement atténué à la fin des années 2000. Plus qu’une simple conséquence, les conflits du Sahel ont reproduit certaines des dynamiques du conflit algérien, souvent par le biais d’un transfert direct des méthodes et conceptions des militants islamistes algériens à leurs camarades sahéliens (maliens). Et on peut identifier des parallèles et des différences significatifs dans les trajectoires de l’Algérie et du Sahel, alors qu’ils ont fait face ou continuent toujours de faire face au problème.
Pour clarifier tout ceci, ce document développe deux arguments : premièrement, le conflit algérien découle d’une crise du règlement politique (political settlement) algérien que ses dirigeants ont tenté de résoudre par la démocratisation en 1988-92. Cette solution a échoué, plongeant le pays dans des années de conflit et de consolidation d’une gouvernance militarisée – un résultat qui joue un rôle central dans la politique étrangère sclérotique de l’Algérie, y compris en ce qui concerne le Sahel. Deuxièmement, la forme que les conflits du Sahel ont prise découle du conflit algérien et a conduit à l’effondrement du règlement politique démocratique du Sahel, avec la fin apparente de la démocratisation et la montée d’une gouvernance militarisée dans la région.
Pour présenter ces deux arguments, le document propose une exploration approfondie de la crise du règlement politique algérien par le biais d’une méthodologie d’analyse historique – c’est-à-dire en retraçant ses éléments déterminants depuis leur point d’origine jusqu’à leurs manifestations actuelles en passant par le tournant critique mentionné ci-dessus, à savoir les années 1988-1992 ; et il évalue la situation qui se met en place au Sahel à travers un cadre d’analyse tiré de l’expérience algérienne – avant de poser quelques conclusions.