L’Eau de Mer au Secours de l’Algérie : Le Défi du Dessalement
Confrontée à une baisse continue des précipitations et aux impacts des changements climatiques, l’Algérie considère désormais le dessalement de l’eau de mer comme une solution incontournable pour sécuriser son approvisionnement en eau. Les prévisions pour 2050 montrent une possible réduction des précipitations pouvant atteindre 20 % en Algérie et dans l’ensemble de l’Afrique du Nord.
Pour faire face à ces défis, l’Algérie a établi 25 usines de dessalement, se positionnant ainsi en pionnière à l’échelle africaine dans ce domaine. Ces infrastructures contribuent non seulement à l’approvisionnement en eau potable des grandes agglomérations et des zones côtières, mais elles jouent également un rôle crucial dans le soutien aux secteurs agricole et industriel, tous deux fortement dépendants de l’eau. Au titre du programme complémentaire, le dessalement d’eau de mer représentera 42% de l’approvisionnement en eau potable, et ce pourcentage atteindra 60 % à moyen terme, permettant ainsi de sécuriser la disponibilité hydrique en Algérie. Bien que le processus de dessalement soit coûteux et demande une quantité importante d’énergie, il est désormais perçu comme un élément stratégique pour garantir la sécurité hydrique du pays et atténuer les conséquences des changements climatiques sur ses ressources en eau.
Situation hydrique en Algérie
L’Algérie fait face à des défis importants en matière de gestion de ses ressources en eau. Ses ressources hydriques globales s’élèvent à environ 19,4 milliards de m³, mais seulement 75 % de ce volume est renouvelable. Parmi ces ressources, 60 % proviennent des eaux de surface et 15 % des eaux souterraines. Les eaux de surface se répartissent dans 17 bassins hydrographiques classés en trois grandes catégories : les bassins côtiers reliés à la mer Méditerranée, ceux des Hautes Plaines, et les bassins sahariens, qui, ensemble, atteignent un volume total de 12,7 milliards de m³. Les eaux souterraines, localisées principalement dans les aquifères du nord et dans les bassins des régions sahariennes, présentent un stock global de 9,3 milliards de m³, bien que leur recharge soit limitée par le faible renouvellement naturel. En tout, l’Algérie dispose de ressources hydriques équivalentes à 17,25 milliards de m³, ce qui ne suffit pas à combler la totalité de ses besoins en eau.La principale source de ces ressources reste les précipitations, qui génèrent un écoulement de surface d’environ 13,50 milliards de m³. Les eaux souterraines fournissent quant à elles environ 4,36 milliards de m³, représentant la deuxième source d’approvisionnement. Malgré ces ressources, l’Algérie demeure parmi les 20 pays les plus touchés par la pénurie d’eau dans le monde. Depuis 1990, la situation s’est empirée, plaçant le pays dans la catégorie des nations à faibles ressources hydriques. La disponibilité par habitant est inférieure à 600 m³ par an, un chiffre bien en dessous du seuil de 1 000 m³ par an recommandé par la Banque mondiale pour assurer une sécurité hydrique minimale.
Le dessalement de l’eau de mer : une solution incontournable
Le dessalement apparaît comme une solution prometteuse face à l’aggravation des pénuries d’eau en Algérie. Le phénomène de littoralisation, marqué par la concentration de la population et des activités économiques le long des 1 200 km de côtes, accentue cette problématique. La mer Méditerranée offre des conditions idéales pour le dessalement, grâce à sa température moyenne de 19°C et sa salinité modérée. Ces caractéristiques facilitent l’exploitation de l’eau de mer à moindre coût et améliorent l’efficacité des stations de dessalement.
L’Algérie a adopté la technologie de l’osmose inverse dans ses installations, une méthode qui s’est imposée comme une référence mondiale. Les avancées technologiques ont permis la mise au point de membranes plus performantes et plus durables, réduisant ainsi les coûts de production. De nos jours, le coût de production d’un mètre cube d’eau dessalée est en moyenne inférieur à 0,5 euro, ce qui en fait une solution économiquement accessible pour répondre aux besoins en eau du pays.A noter que l’État algérien subventionne le coût de l’eau potable, permettant aux citoyens de payer environ 6 DA soit 0,041 euro par mètre cube pour la première tranche de consommation trimestrielle.Ces tarifs ne reflètent donc pas le coût réel de production et de distribution de l’eau. Ils varient selon les catégories d’usagers et les tranches de consommation trimestrielles.
Développement des infrastructures de dessalement en Algérie
Le nombre d’usines de dessalement d’eau de mer en Algérie devrait atteindre 19 vers la fin 2024. Onze usines ont déjà été mises en service le long de la côte, avec une capacité de production totale de 2,11 millions de mètres cubes par jour. Dans le cadre d’un plan d’urgence, 03 usines supplémentaires, capables de produire 70 000 mètres cubes par jour ont été achevées. Parmi celles-ci figurent les usines de Bateau Cassé et El Mersa, situées dans la wilaya d’Alger, ainsi que l’usine de Corso dans la wilaya de Boumerdès, en phase finale de construction ce qui devrait augmenter la production de 80 000 mètres cubes supplémentaires. Lancé en 2022, un programme complémentaire prévoit la construction de 11 nouvelles stations de dessalement en Algérie, dont 5 situées à El-Tarf, Béjaïa, Boumerdès, Tipaza et Oran. Les travaux de ces 5 stations affichent déjà un taux d’achèvement de 70 %. La station de Béjaïa, implantée à Tighremt, devrait être opérationnelle en décembre 2024, grâce à l’engagement sans faille des équipes algériennes.
Pilotés par l’Algerian Energy Company (AEC), filiale du groupe Sonatrach, ces projets visent à augmenter la production d’eau potable pour atteindre 3,76 millions de mètres cubes par jour d’ici 2030, ce qui pourrait couvrir jusqu’à 60 % des besoins en eau de la population, un objectif majeur face à la crise hydrique actuelle. À ce jour, les projets de dessalement sont en phase de réception et d’installation des équipements, étape cruciale avant de passer aux tests et à la pré-commission des infrastructures. Cette phase revêt une importance capitale pour s’assurer que les stations seront en mesure de répondre à la demande croissante en eau du pays, dans un contexte de pression démographique et de besoins en constante augmentation.Selon les déclarations du Directeur général d’Algerian Energy Company (AEC), Mohamed Boutabba, « ces mégas projets sont d’une importance stratégique car ils augmenteront les capacités de mobilisation des eaux de mer dessalées à 42 % ». À la fin de ce mois d’octobre, le groupe Sonatrach a reçu une nouvelle livraison d’équipements destinés aux stations de dessalement d’eau de mer, suivant une première réception en septembre. Un dispositif logistique aérien conséquent a été déployé pour transporter le matériel destiné aux 5 principales stations. Plus récemment, un lot de 79 tonnes d’équipements mobiles a été livré à l’aéroport international Houari-Boumediene, réceptionné par l’Algerian Energy Company (AEC) et la Société Algérienne de Réalisation de Projets Industriels (SARPI).
Il est à noter également qu’un second programme d’urgence prévoit la construction de 6 nouvelles usines de dessalement. Le directeur général de l’Algerian Energy Company (AEC) a indiqué que ce plan porterait le nombre total d’usines de dessalement à 25 d’ici 2030. Ce programme supplémentaire a été confié à des entreprises algériennes, dont 4 filiales du groupe Sonatrach et la société COSIDER Canalisation. Le responsable a précisé que l’achèvement des programmes d’urgence et complémentaire permettra d’augmenter la capacité totale de production d’eau potable de 2,11 millions à 3,76 millions de mètres cubes par jour. L’agrandissement des installations, sur des terrains de 300 à 400 hectares contre 15 à 16 actuellement, nécessiterait des études d’optimisation. L’équipe de l’AEC travaille à l’identification de sites côtiers pour l’installation de solutions temporaires afin de mettre en place les options les plus adaptées. Il a été rappelé que le dessalement est une industrie exigeante en investissements financiers, en raison du coût élevé de la technologie et de la forte consommation d’énergie nécessaire à la transformation de l’eau de mer en eau potable. Pour réduire l’impact énergétique, l’approvisionnement des usines en électricité devrait provenir de sources renouvelables.
Bien que le dessalement soit une solution efficace pour remédier à la pénurie d’eau, cette technologie comporte aussi des défis majeurs. Les coûts initiaux d’installation sont importants de plus de la consommation énergétique des stations de dessalement reste élevée. C’est pourquoi les autorités algériennes soulignent l’importance d’assurer la durabilité de cette industrie en intégrant des sources d’énergie renouvelable dans le processus. Une telle approche contribuerait à réduire l’empreinte carbone des installations et à diminuer, sur le long terme, les coûts de fonctionnement.
Optimisation et Réduction des Coûts et des Risques environnement aux du Dessalement
Le dessalement de l’eau de mer présente plusieurs défis majeurs, notamment sa forte consommation énergétique, les rejets polluants qu’il engendre, ainsi que le coût élevé de production et la gestion des sels et minéraux extraits.
Malgré son efficacité, le dessalement consomme beaucoup d’énergie, émet des gaz à effet de serre, et peut détourner l’attention de solutions plus durables comme le recyclage des eaux usées et l’optimisation de l’usage de l’eau.
Par ailleurs, la question de la fabrication des équipements nécessaires aux stations de dessalement pour la réduction des coûts de production a également été soulevée lors d’une journée parlementaire organisée à l’Assemblée populaire nationale (APN) le 25 juin dernier, intitulée « Dessalement d’eau de mer en tant qu’option stratégique pour l’État : réalisations et défis ». Les grandes stations de dessalement en service ont des capacités dépassant 100 000 mètres cubes par jour, tandis que celles en construction peuvent atteindre 300 000. Parmi les recommandations émises lors de cet événement figurent l’adoption des énergies renouvelables pour l’alimentation des stations de dessalement, la production locale des équipements requis et la création d’une usine de fabrication de membranes pour l’osmose inverse, un processus essentiel pour la dépollution et la déminéralisation de l’eau.
En plus des inconvénients d’une consommation énergétique et le cout de production élevés, plusieurs défis environnementaux sont liés au processus de dessalement tels que l’utilisation de produits chimiques, le rejet de saumures concentrées et chaudes, et la présence de métaux lourds dans les rejets. À l’occasion de la journée parlementaire citée ci-dessus, Hacene Mahmoudi, professeur à l’École Nationale Supérieure en Nanosciences et Nanotechnologies (ENSNN), a mis en avant l’importance de valoriser les sels et minéraux issus du processus de dessalement. Il a souligné qu’une station produisant 100 000 mètres cubes d’eau par jour pourrait générer jusqu’à un million de tonnes de chlorure de sodium par an, correspondant à des recettes estimées à 65 millions de dollars, alors que le coût de production de l’eau dans cette même station s’élève à 22 millions de dollars par an.
En l’absence de législation spécifique pour encadrer ces rejets, la restitution de la saumure à la mer modifie la composition chimique de l’eau et nuit aux écosystèmes marins selon les conclusions d’une étude effectuée par l’équipe du Pr Belkacem Filali de l’Université Saasd Dahleb de Blida intitulée « impact du dessalement sur l’environnement en Algérie ». Ces rejets s’ajoutent aux polluants marins existants comme l’hydrogène sulfuré et les hydrocarbures. En Algérie, la multiplication des installations de dessalement aggrave ces impacts. Elle provoque notamment une diminution de l’oxygène dissous, nuisant à la vie marine. À cet effet, l’étude recommande de privilégier des emplacements stratégiques pour évacuer les saumures, en évitant les zones sensibles et en favorisant leur dispersion grâce à des diffuseurs. Il est crucial que la température des rejets soit similaire à celle de l’eau naturelle pour prévenir la perturbation des écosystèmes. Ceci explique le choix de l’osmose inverse qui est préférée aux procédés thermiques en raison de son moindre impact en termes de corrosion et de température. La meilleure façon de réduire l’impact est de traiter la saumure avant rejet, et une réflexion approfondie sur les coûts et la gestion des stations de dessalement est nécessaire.
Stratégies innovantes pour une meilleure gestion de l’eau
Brahim Mouhouche, membre éminent du Conseil National de la Recherche Scientifique et des Technologies (CNRST) et enseignant à l’École Nationale Supérieure d’Agronomie, apporte un éclairage précieux sur les défis hydriques auxquels l’Algérie est confrontée, notamment en ce qui concerne la gestion des ressources en eau. Lors d’une intervention sur ce sujet, il a mis en avant l’importance des initiatives de dessalement dans le cadre d’une stratégie de diversification des sources d’approvisionnement. Cependant, il a averti qu’il serait imprudent de considérer le dessalement comme une solution unique. « Cette technologie, bien qu’efficace, nécessite des infrastructures onéreuses et une gestion stricte des ressources énergétiques, soulevant ainsi des questions de durabilité à long terme », a-t-il précisé. Mouhouche a insisté sur la nécessité d’accompagner le développement des infrastructures de dessalement par des outils de gestion avancés. « Il est indispensable de disposer d’instruments capables de mesurer précisément les capacités hydriques du pays », a-t-il déclaré, soulignant l’importance de la collecte de données précises et à jour sur les nappes phréatiques, les réserves des barrages et les flux d’eau disponibles. La mise en place de bases de données géographiques détaillées serait également cruciale pour améliorer la gestion. Ces outils faciliteraient une planification plus efficace de l’utilisation des ressources en eau, permettraient d’anticiper les pénuries et optimiseraient la distribution, notamment dans les zones rurales où les besoins agricoles sont importants. Pour l’expert, la gestion efficace de l’eau repose sur une compréhension approfondie du potentiel hydrique du pays. Il a recommandé le développement de technologies avancées de télédétection et de modélisation hydrologique pour soutenir la prise de décision. Par ailleurs, il a souligné l’importance d’une approche intégrée de la gestion des ressources en eau, impliquant tous les acteurs concernés, des autorités locales aux agriculteurs, en passant par les industriels et les chercheurs. Cette approche doit aller au-delà du dessalement et inclure des mesures telles que la réutilisation des eaux usées traitées, la modernisation des systèmes d’irrigation et la promotion de cultures adaptées à la sécheresse. Il a également insisté sur l’importance de sensibiliser les populations et les agriculteurs à une utilisation plus rationnelle de l’eau. « La gestion durable de l’eau nécessite un changement des comportements. Instaurer une culture de l’économie de l’eau est essentiel », a-t-il conclu.Sur un autre registre, le Pr Ali Daoudi, agroéconomiste renommé et enseignant-chercheur à l’École Nationale Supérieure Agronomique professeur a expliqué dans une conférence sur les changements climatiques à l’Université Mentouri de Constantine que, « le dessalement peut être bénéfique pour l’agriculture, en particulier dans le sud algérien où les conditions climatiques sont extrêmes ». L’utilisation de technologies de dessalement permettrait de fournir de l’eau douce pour l’irrigation, essentielle dans ces régions arides. Couplé à des systèmes d’irrigation de précision et à des méthodes agricoles adaptées, le dessalement contribuerait à rendre l’agriculture plus durable et résiliente face aux défis climatiques selon l’expert.
Références
- Entretien avec Pr Brahim Mouhouche :
- L’Invité de la rédaction, Radio Algérienne, Chaîne 3, 19 septembre 2024.
- Intervention du directeur de communication de l’AEC :
- L’invité du jour, Radio Algérienne, Chaîne 3, 8 octobre 2024.
- Article de presse – El Moudjahid :
- “Réalisation de stations de dessalement : Barrage à la sécheresse”, El Moudjahid, 16 juillet 2024.
- Article de presse – Le Soir d’Algérie :
- “Stations de dessalement d’eau de mer : Dernière phase de montage avant les essais”, Le Soir d’Algérie, 9 octobre 2024.
- Déclarations officielles :
- Mohamed Boutabba, Directeur Général de l’AEC, à la presse.
- Rapport parlementaire :
- Journée parlementaire à l’Assemblée populaire nationale (APN), intitulée “Dessalement d’eau de mer en tant qu’option stratégique pour l’État : réalisations et défis”.