Publications

La géopolitique du sport en Afrique du Nord : « De la diplomatie des mallettes à celle des baskets »

Article par Brahim KAS

Depuis des temps immémoriaux, le sport et la politique sont étroitement liés, comme l’atteste la trêve olympique dans la Grèce antique. Les utilisations du sport comme outil diplomatique ont été nombreuses par le passé : la diplomatie du ping-pong entre la Chine et les États-Unis, celle du hockey entre le Canada et l’Union soviétique ont été suivies par la diplomatie de la lutte entre la Russie, l’Iran et les États-Unis. La diplomatie du cricket entre l’Inde et le Pakistan sont un bel exemple de négociations entre frères-ennemis, ou encore les épisodes de diplomatie du base-ball entre Cuba et les États-Unis. Qu’en est-il de la géopolitique du sport en Afrique du Nord ?

Dans chacun de ces cas, le sport a été choisi pour servir des intérêts nationaux, et les dirigeants politiques marocains, algériens et tunisiens ont compris très tôt la valeur du sport comme support de l’identité nationale. Déjà, au lendemain de l’indépendance, en 1956, l’ancien président de la République, Habib Bourguiba, affirmait : « Nous avons bien besoin de nous rendre là où se tiennent des compétitions sportives qu’elles soient arabes, méditerranéennes ou mondiales […]. Le prestige que valent les exploits sportifs est indéniable. Il rejaillit sur la nation tout entière. »[1]. Le président de la République tunisienne comprit que le sport et la diplomatie pouvaient jouer des matches aller/retour, avec toute une panoplie d’acteurs sportifs engagés dans des pratiques diplomatiques, et des diplomates nouant un dialogue officiel avec le monde sportif.

Le sport est un terrain d’affrontement, pacifique ou régulé, des Etats. C’est la façon la plus visible de montrer le drapeau, d’exister sur la scène mondiale. Les Jeux méditerranéens respectivement d’Alger en 1975 et de Casablanca en 1983 révélaient les rancœurs à l’égard du colonisateur français. Le Maroc d’Hassan II et l’Algérie de Houari Boumediene y exprimaient l’expression du nationalisme arabe en raison des relations tendues à l’époque entre les États arabes et Israël. Pour les Jeux d’Alger, la fastueuse cérémonie d’ouverture voulait montrer la « grandeur » de la jeune nation algérienne. La victoire remportée par l’équipe algérienne de football contre l’équipe française était alors vue sous le prisme d’une revanche sur l’ancien colonisateur. Cette victoire est fêtée a été fêtée comme « une seconde indépendance » par les Algériens[2]. Rappelons que l’ex international footballeur algérien Rachid Makhloufi reçut, en 1968, la coupe de France des mains du général De Gaulle qui lui dira : « la France c’est vous ».

Les passions nationales se trouvent exacerbées et le football offre un terrain privilégié à l’affirmation des identités collectives et des antagonismes locaux ou régionaux parce que « chaque rencontre est un affrontement qui prend les apparences d’une guerre ritualisée, le football favorise toutes les projections imaginaires et le fanatisme patriotiques » [3].

À Casablanca, en 1983, la cérémonie d’ouverture des Jeux insistait sur l’ancrage du royaume chérifien au monde arabo-musulman, notamment sa solidarité avec le Liban, mais aussi un hommage à l’Arabie saoudite[4]. Les compétitions sportives s’étaient déroulées dans un climat d’hostilité à l’égard des de la France: certains athlètes français refusèrent alors de participer à la cérémonie de clôture. À l’époque, l’ambassadeur de France se plaint au gouvernement marocain de l’attitude francophobe d’une partie du public marocain.

Outil de diversification économique, le sport apparaît également comme un instrument fondamental pour relever les défis socio-politiques. C’est aussi un instrument majeur du soft power[5] qui renforce l’image de marque internationale d’un Etat. Le Qatar, du Paris-Saint-Germain[6] au Mondial 2022, a pleinement déployé sa stratégie d’influence. Longtemps critiqué pour l’ambiguïté de ses positions géopolitiques au Moyen-Orient, Doha s’est offert une légitimité en investissant dans le sport. Ce petit pays à la démographie modeste, a su devenir incontournable sur la scène internationale et médiatique grâce à sa politique d’accueil de grands événements sportifs.

Le Mondial a souvent été sujet aux jeux d’influence et de pouvoir et le football, plus que d’autres compétitions, est populaire partout dans le monde. Tous les Etats en mal de légitimité puisent dans le registre du football, sport de masse par excellence, dans l’espoir d’en tirer quelques dividendes politiques.

En Algérie, le football n’est jamais très loin de la politique. Avant même son indépendance, l’équipe du FLN, non reconnue par la FIFA, a joué de 1958 à 1962 un rôle militant, de marketing politique innovant et de diplomatie sportive considérable. En 1958, les meilleurs joueurs d’origine algérienne abandonnent clandestinement le Championnat de France pour créer, en Algérie, l’équipe qui deviendra l’emblème de la lutte pour l’indépendance du pays. Pour soutenir l’équipe nationale algérienne lors de la demi-finale de la CAN 2019 au Caire, les autorités algériennes avaient affrété six avions militaires pour le transport des supporters[7]. Un pont aérien avait été également mis en place mis en novembre 2009 vers Khartoum au Soudan à la l’occasion du match barrage des éliminatoires du mondial 2010 ayant opposé l’Algérie à l’Égypte ; il a permis le transfert en temps record de 15 000 supporters algériens et remporter la bataille du moral avant et pendant le match[8].

Dans les relations internationales, le concept de puissance anime les Etats et le sport, en particulier le football, constitue est un élément déterminant du rayonnement d’une nation. Le ballon rond s’est mué en un élément cardinal du soft power. La diplomatie sportive s’appuie sur le sport comme vecteur de puissance douce. Un État peut tirer un « capital sympathie » et créer  un lien avec l’opinion publique mondiale. La capacité de mobilisation inégalée des grandes compétitions, montre que la liaison entre sport et soft power est quasi intuitive. Utiliser le sport comme ressource de soft power a parfois été dénoncé comme du sports-washing, mais toute « marque nationale sera plus crédible quand elle est portée par des athlètes », comme le résume Tom Fletcher, ancien ambassadeur britannique[9]. Les grands événements sportifs deviennent un parfait prétexte au service de la diplomatie car ces moments partagés entre personnalités sont autant d’occasions d’aborder, de traiter et même de résoudre des sujets souvent bien éloignés du sport. Le sport ne concerne donc pas seulement les athlètes, mais un large éventail d’acteurs de la diplomatie sportive : les instances de gouvernance nationales et internationales, des ONG, les sponsors multinationaux, la couverture médiatique, et enfin et surtout les spectateurs, sur place ou à distance grâce à la télévision. Les diplomates officiels ne peuvent plus ignorer le monde sportif.

Bien qu’il ait été autrefois dévalorisé, le sport est aujourd’hui de plus en plus courtisé par les pays du Maghreb comme un outil permettant d’améliorer leur politique étrangère, d’atteindre des publics extérieurs de manière plus efficace et de renforcer leur image et leur influence internationales.

Le stade est en effet devenu un espace d’influence dans lequel les Etats échangent avec les décideurs du monde entier. Le sport devient le moyen le plus sûr de ressouder un pays autour d’un projet national ou régional et peut se substituer aux armes dans un contexte belliqueux. Au Maghreb, les tensions diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie sont exacerbées, et la rivalité entre les « deux frères ennemis » du Maghreb freinent, entre autres, les projets d’intégration régionale comme l’Union du Maghreb Arabe[10]. Les fédérations sportives marocaines ont néanmoins pu participer aux Jeux méditerranéens (JM) 2022 qui sont tenues en Algérie malgré la rupture diplomatique entre les deux pays.

Dans un espace public mondialisé, il légitime l’action internationale d’un pays et constitue également un facteur de puissance. Le Maroc est, par exemple, en tête dans la région du Maghreb dans le classement du Global Soft Power Index 2022.

L’exploit d’une équipe nationale suscite le respect et l’admiration, les sportifs sont ainsi des diplomates en short. En 1986 à Mexico, le Maroc devenait la première équipe africaine à se qualifier pour le second tour d’un Mondial, mais s’incline en 8èmes de finale face à l’Allemagne de Karl-Heinz Rummenigge[11]. L’équipe de Rummenigge s’inclinait contre l’équipe nationale algérienne pendant la coupe du monde 1982 en Espagne. L’Algérie, qui jouait pour la première fois de son histoire en coupe du monde, consacrait la première victoire d’une équipe africaine face à une équipe européenne. L’Algérie des légendaires joueurs Rabah Madjer et Lakhdar Belloumi, donna alors une leçon d’humilité à la sélection allemande et réalisa un des plus grands exploits de l’histoire du tournoi[12].

Si le football, qui est devenu un fait social universel qui submerge plus d’un milliard d’êtres humains, occupe une place majeure dans la géopolitique du sport en Afrique du Nord, l’athlétisme ou la natation ne sont pas en reste.

Aux Jeux olympiques de Pékin de 2008 et Londres de 2012, les exploits du nageur tunisien, Oussama Mellouli, sont inversement proportionnels à la géopolitique de son pays. Le Tunisien décroche, le 17 août 2008, son premier titre olympique dans le 1500 mètres nage libre dans la capitale chinoise. Il mettait ainsi fin à quarante années d’attente pour la Tunisie. Le dernier – et premier – titre olympique datait de 1968, obtenu à Mexico par le spécialiste des courses de fond, Mohammed Gammoudi, sur 5 000 mètres. Aux Jeux olympiques (JO) d’été de 1964 tenus à Tokyo, il remportait déjà la première médaille d’argent de l’histoire du sport tunisien. Champion olympique du 5 000 mètres en 1968, il est le sportif tunisien le plus médaillé de l’histoire des Jeux. Si l’exercice uchronique demeure périlleux, Gammoudi aurait pu remporter une médaille aux JO d’été de 1976 à Montréal, dans la province de Québec, au Canada, il en aura été privé en raison du boycottage des Jeux par les pays africains voulant protester contre la présence des sportifs sud-africains dont le régime pratiquait l’Apartheid. Il exercera au lendemain des révolutions arabes de hautes responsabilités au sein de la Fédération tunisienne d’athlétisme.

Même s’il y a encore du chemin à parcourir, le sport féminin avance et constitue un des éléments de l’émancipation de la femme en Afrique du Nord. Nawal El Moutawakel, une athlète marocaine, médaille d’or du premier 400m haies féminin de l’histoire des Jeux olympiques, à Los Angeles en 1984, devient dirigeante sportive et femme politique. Elle est aujourd’hui membre du bureau exécutif et vice-présidente du Comité international olympique et présidente de la commission de coordination des Jeux olympiques de Rio 2016. En représentant les couleurs de l’Algérie aux Jeux olympiques de 1996 et de 2004, l’escrimeur algérien Raouf Salim Bernaoui a été, à partir de 2013, à la tête de la fédération algérienne d’escrime. Le sport est souvent l’occasion d’une promotion sociale pour les sportifs de haut niveau. Aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992, alors que l’Algérie vivait les prémices d’une guerre civile avec une image exécrable de pays en cours d’islamisation par le sang, l’Algérienne Hassiba Boulmerka, remporte le 1 500 mètre et apporte à son pays la première médaille d’or de son histoire. Elle lui permit d’accéder au club des pays ayant obtenu au moins une fois une médaille d’or olympique. Si la victoire de la Constantinoise provoque la liesse populaire en Algérie, qui traverse les premières années de la terrible décennie noire, elle sera beaucoup moins appréciée par les islamistes les plus radicaux, qui tolèrent mal la réussite d’une femme en tant que sportive de haut niveau. Mais les grands peuvent également être très critique envers leurs fédérations sportives nationales, comme le double médaillé olympique, l’Algérien Taoufik Makhloufi, qui accuse les responsables du sport en Algérie de sabotage et qui semble-t-il devra terminer sa vie en exil. Les JO ont servi, encore une fois, de tribune à de nombreux athlètes qui se plaignent des problèmes de gestions qui gangrènent le milieu, fédérations, comités olympiques, ministères sont régulièrement cloués au pilori dans des ambiances de censure et de fermeture médiatique. Cela prouve que le sport est aussi un exutoire interne pour des revendications politiques qui ont un écho retentissant parce que tous les micros et toutes les caméras sont braqués sur les Jeux Olympiques et autres compétitions internationales.

Dans les pays du Maghreb, mais pas seulement, les fédérations ne sont toujours pas gérées dans la plus parfaite transparence. Les athlètes avec leurs « baskets à la place des mallettes, mais tout de même des diplomates »[13], sont engagés dans une forme de diplomatie que sont la représentation, la communication et parfois la négociation. Des athlètes d’élite, qui ont une notoriété et qui dépasse largement les frontières, représentent toujours quelque chose : une nation, un club de renom ou la vision politique d’un pays.

En Libye, al-Saadi Kadhafi, troisième fils de Mouammar Kadhafi et footballeur, est un exemple de va-et-vient entre sport et politique. Il investit dans de prestigieux clubs de Série A italienne, et y joua: son match avec l’AC Pérouse face à la mythique Juventus, aura été un moment de gloire pour son pays. Dans le même temps, les habitants de Benghazi exprimaient leur opposition au régime en supportant leur club de football contre celui de Tripoli. [14]

 

Les derniers Jeux méditerranéens 2022 qui se sont tenus en Algérie ont constitué un moment géopolitique. Juste après avoir été championne de la Coupe arabe de football en 2022 à Doha, l’Algérie a accueilli les JM du 25 juin jusqu’à la date symbolique du 5 juillet, fête de l’indépendance nationale. Les Jeux sont un événement sportif que l’on pourrait qualifier de « mini Jeux Olympiques », réunissaient 26 pays du pourtour méditerranéen, dont la France. Le Comité international des Jeux méditerranéens (CIJM) a choisi la ville d’Oran pour cette 19ème édition des Jeux. Il aura donc fallu presque un demi-siècle pour que cette grande compétition sportive revienne sur le sol algérien après l’édition d’Alger en 1975.

Pour l’édition de 2022[15], une cérémonie d’ouverture grandiose a été organisée, avec des centaines d’artistes, de musiciens et les paysages du pays, son histoire et son influence dans la région méditerranéenne, étaient à l’honneur. Les autorités algériennes semblent s’être inspirées du modèle qatari, mais Alger saura-t-elle user de la diplomatie du sport dans le règlement de ses différends – notamment avec le Maroc – et promouvoir un soft power pour son ambitieux plan Algeria Tomorrow et faire du pays l’une des premières économies d’Afrique ?

On aurait pu penser qu’avec un peu de volontarisme, la dernière brouille entre Paris et Alger, énième épisode de la relation mouvementée entre les deux pays, aurait pu trouver un épilogue lors des Jeux. En tant qu’outil de soft power, le sport peut participer de manière significative aux relations de bon voisinage entre pays. Une invitation du président Tebboune au président français, ré-élu, à la cérémonie d’ouverture aurait été une affiche éclatante pour une relation franco-algérienne allant vers l’apaisement souhaité à Paris. Mais c’est l’Emir du Qatar qui en a été l’invité d’honneur. Le vice-président de la République de Turquie et la ministre italienne de l’Intérieur, accompagnée du ministre chargé des Sports, ont également assisté à la cérémonie d’ouverture. Le ministre des Affaires étrangères italien avait déjà rencontré, en février 2022 à Alger, son homologue algérien, ainsi que le ministre de l’Énergie, pour renforcer la coopération bilatérale en matière d’approvisionnement énergétique[16].

La relation entre Paris et Alger, deux grandes capitales de la Méditerranée, n’est pas dépassée, elle est assurément à dépasser, en laissant derrière elle les brouilles à répétition pour construire un traité d’amitié franco-algérien tant attendu entre les deux rives. Emmanuel Macron ré-élu, cette perspective est à portée de mandature. Macron et Tebboune se reverraient-ils en héritier d’un De Gaulle et d’un Konrad Adenauer, permettant à deux peuples de regarder ensemble vers l’avenir[17].

Les JM apparaissent comme une victoire politique pour l’Algérie et les autorités algériennes avaient prédit une campagne médiatique inédite. Elle apparaissait initialement atone, et c’était à se demander si Alger voulait réellement se saisir de l’événement pour redorer son image à l’international. Le président de la République algérienne, Abdelmadjid Tebboune, avait alors nommé un nouveau Commissaire aux Jeux, Mohamed Aziz Derouaz, pour leur donner un nouveau souffle. Si la réalisation des infrastructures sportives avait suscité l’inquiétude du CIJM, l’Algérie a su rattraper son retard et démontrer sa capacité à organiser un événement sportif majeur. Le complexe Olympique d’Oran, construit avec l’aide des dernières technologies et sur la base des normes architecturales modernes et des énergies vertes, est une réussite éclatante.

 

Les Jeux méditerranéens avaient quelque peu perdu de leur splendeur. S’ils demeurent un événement sportif de premier ordre pour les pays de la rive sud qui y inscrivent leurs meilleurs athlètes, les pays de la rive nord, la France incluse, y envoient des athlètes à la notoriété plus modeste. Or, si l’Hexagone avait envoyé ses meilleurs athlètes en Algérie, les autorités algériennes auraient assurément apprécié et c’eût été une opportunité de consacrer une trêve plus que bienvenue dans la relation franco-algérienne. Malheureusement, cette trêve n’aura pas encore lieu. D’ailleurs, un incident s’est produit pendant les Jeux : la délégation française de football a hélas été sifflée par le public présent dans le stade oranais. Les dommages infligés à la relation franco-algérienne ne semblent pas encore atténués, et il faudra du temps pour en prendre la mesure.

C’est au risque de passer à côté des opportunités de partenariat entre les deux puissances méditerranéennes, notamment dans l’ingénierie du sport et l’accueil de méga-événements sportifs[18]. Organisatrice de la Coupe du Monde féminine de football 2019, de la Coupe du Monde de Rugby en 2023 et des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024, la France est au centre du jeu de la diplomatie sportive. En Europe, la France fait figure de leader, avec l’institutionnalisation d’un Ambassadeur pour le sport[19] et son succès persistant à attirer les plus grandes rencontres sportives.

Alger pourrait profiter du réel pouvoir d’influence de la France pour approfondir sa politique du sport et générer d’importantes retombées sur le plan économique mais également social, notamment vis-à-vis de la jeunesse dans une Algérie post hirak[20]. L’Ambassade de France en Mauritanie et le Comité national olympique et sportif mauritanien ont, par exemple, organisé les 18 et 19 novembre 2022, à l’Institut français à Nouakchott des journées « portes ouvertes » sur le sport en Mauritanie[21].

Si Alger envisageait une candidature pour les Jeux ou la Coupe du monde, la France pourrait être un allié naturel. Reste à savoir si le gouvernement algérien est prêt à en faire une priorité nationale et faire du sport, à côté d’autres instruments, un élément de valorisation et de notoriété positive pour le pays. Le Maroc ambitionne, quant à lui, de faire une priorité nationale l’organisation de la Coupe du monde. Après cinq tentatives malheureuses, le Maroc a annoncé, par la voix de son ministre des Sports marocain, Rachid Talbi Alami, qu’il sera candidat à l’organisation du Mondial 2030 de football[22]. Le royaume ambitionne d’être le second pays du continent africain, après l’Afrique du Sud en 2010, à accueillir l’événement. Rabat y voit un catalyseur pour le développement du pays.

Verra-t-on une compétition, telle la course aux armements entre l’Union soviétique et les Etats-Unis dans les années 1980, entre Alger et Rabat ou, au contraire nécessité faisant loi, une mutualisation des moyens politique, financier et d’influence entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie pour accueillir la Coupe ? La coupe du monde 2026 a été attribuée au trio USA/Canada/Mexique. A plus long terme, le trio Rabat/ Alger/ Tunis, pourrait s’allier pour accueillir la Coupe du monde ou les Jeux olympiques.

Outre l’aspect économique, la politique joue un rôle prépondérant dans la course à l’obtention des Jeux. Depuis leur création en 1896, les Jeux olympiques n’ont jamais eu lieu sur le continent africain, alors que cet événement planétaire a fait le tour du monde, de Los Angeles à Tokyo, en repassant prochainement par Paris. D’aucuns disent qu’il est temps que la flamme olympique illumine une capitale africaine. Le trio Alger, Rabat et Tunis pourrait offrir sa première fois à l’Afrique.

Alors que l’Union européenne étudie sa nouvelle politique en faveur du sport, quelle place les pays du Maghreb entendent-ils donner à la diplomatie sportive, encore peu développée, et s’ils établiront une stratégie conçue pour atteindre un objectif de long-terme ? Le couple sport et diplomatie est encore désorganisée, sans véritable cap, alors que le Maghreb possède une série d’atouts et des talents largement sous-exploités.

 

Bibliographie :

Jean-Marie Brohm, « football et passion politique », Le monde diplomatique, une manière de voir, mai-juin 1998.

Ignacio Ramonet, « Sport et nationalisme », Quasimodo n° 1 octobre 1996, Montpellier.

Pascal Boniface, Géopolitique du sport, Paris, Dunod, 2021.

Jean-Baptiste Guégan, Géopolitique du sport, une autre explication du monde, Bréal, 2017.

Maxence Fontanel, Géoéconomie du sport, le sport au cœur de la politique et de l’économie internationale, L’Harmattan, 2009.

Mazot Jean-Paul & LAGET Serge, Les Jeux méditerranéens (1951-1993), Presses de Languedoc, 1992.

Fates Youcef, Sport et politique en Algérie, Paris, L’Harmattan, 2009.

Darby Paul, Africa, Football and FIFA: Politics, colonialism and Résistance, London, Franck Cass, 2002.

 

 

[1] Habib Bourguiba, « le rôle du sport dans la bataille contre le sous-développement », discours prononcé par le président Bourguiba le 30 septembre 1960 à Tunis.

[2] En finale, Boumedienne avait dit aux joueurs qu’il ne souhaitait pas que la Marseillaise puisse retentir sur le stade d’Alger « pour mon honneur et celui de notre nation ».

[3] Propos d’Ignacio Ramonet Ancien directeur du mensuel français Le Monde diplomatique, Ignacio Ramonet est né en 1943 en Espagne mais a grandi au Maroc. Après avoir obtenu une maîtrise de lettres en France, il enseigne au collège du Palais royal de Rabat où il a comme élève le futur roi Mohammed VI. Écrivain, il a publié plusieurs ouvrages, parmi lesquels, Géopolitique du chaos (Galilée, 1997/1999), La Tyrannie de la communication (Galilée, 1999), Guerres du XXIème siècle : Peurs et menaces nouvelles (Galilée, 2002)….

[4] L’Arabie saoudite apporta une aide financière substantielle au Maroc pour la réalisation des installations sportives.

[5] Depuis la fin de la Guerre froide, le concept de soft power, a été mis en avant par l’Américain Joseph Nye. Le concept se définit par la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur par un ensemble de moyens autres que la menace ou l’emploi de la force. Cette influence s’exerce autant à l’égard des adversaires que des alliés et vise désormais tous les acteurs des relations internationales. La diplomatie, les alliances, la coopération institutionnelle ou non, l’aide économique, l’attractivité de la culture, la diffusion de l’éducation constituent les principaux vecteurs du soft power. Ce sont des moyens pacifiques pour convaincre les autres acteurs des relations internationales d’agir ou de se positionner dans un sens donné.

[6] Le club parisien appartenait à un fonds d’investissement américain, Colony Capital, en difficulté financière. Son directeur général pour l’Europe, Sébastien Bazin était un proche de Nicolas Sarkozy. Sa fille était l’une des enfants pris en otages à l’école maternelle de Neuilly-sur-Seine (France) en mai 1993, la ville dont Sarkozy était le maire. En juin 2011, le fonds d’investissement Qatar Sports Investment débourse 76 millions pour racheter le club. Nicolas Sarkozy nie avoir été un intermédiaire pour que le Qatar puisse racheter le club parisien. Par la suite, la Coupe du Monde a été attribuée au Qatar, le 2 décembre 2010.

[7] Lors de la finale de la CAN 2019. L’Algérie remontait sur le toit de l’Afrique après sa victoire face au Sénégal. Les Fennecs remportent cette CAN 2019, 29 après leur dernière victoire en 1990.

[8] https://www.jeuneafrique.com/792067/societe/can-2019-la-rivalite-algerie-egypte-et-lombre-doum-dormane/

 

[9] Tom Fletcher est un ex-ambassadeur au Liban (2011), disruptif, qui a « brisé des siècles de protocole » selon le journal britannique The Telegraph. Issu de l’université d’Oxford, Fletcher est Conseiller des affaires étrangères de trois premiers ministres consécutifs: Tony Blair, Gordon Brown et David Cameron. Son livre, Naked Diplomacy, Power and Statecraft in the Digital Age, décrit l’exercice diplomatique et la représentation d’un État à l’ère d’Internet et de l’effacement des frontières étatiques.

[10] L’Union du Grand Maghreb (UMA) stagne, voire en état de « mort cérébrale », après la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc. L’organisation n’est plus qu’une institution protocolaire et n’a pu, depuis 1994, tenir aucun sommet économique réunissant l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Libye et la Mauritanie. La création de l’Union, le 17 février 1989 à Marrakech, fut un moment historique pour les peuples des cinq Etats membres. Près de trente ans après sa création, l’UMA affiche un bilan très mitigé, et faute d’une coopération économique efficace, les pays du Maghreb perdent chaque année des milliards de dollars. L’Afrique du Nord est incapable de se penser comme une puissance régionale et le « coût du non-Maghreb » la fragilise sur la scène internationale.

[11] Karl-Heinz Rummenigge, né le 25 septembre 1955 à Lippstadt en Allemagne de l’Ouest, est un footballeur international allemand considéré comme l’un des plus grands attaquants de l’histoire du football allemand et l’un des meilleurs joueurs des années 1980 incarnant la domination de l’Allemagne sur le football européen et mondial du début des années 1970 à la fin des années 1980.

[12] Les Allemands, qui promettaient une lourde défaite aux Algérie, était largement favorite face à l’Algérie. Soutenu par plusieurs joueurs de classe internationale, Rummenigge double ballon d’or consécutif (1980 et 1981) et Breitner le deuxième meilleur joueur européen, l’Allemagne pensait déjà à la finale. Le sélectionneur allemand Derwall, avait dit qu’il rentrerait à pied si son équipe perdait. La sélection algérienne était plus modeste, composée en majorité de joueurs évoluant dans le championnat local. Pourtant, à la surprise générale, la Mannschaft perdait sur le score de 1-2, mais elle s’arrangea avec son voisin autrichien pour faire un match nul lors de la deuxième journée de compétition et ainsi assurer leur qualification mutuelle : un match qui sera nommé par de multiples journalistes « match de la honte ».

[13] C’est ainsi qu’a été décrite l’équipe nationale anglaise en route pour la Coupe du monde de football 1950 au Brésil. La piètre performance de l’équipe anglaise, avec une défaite 0-1 contre les États-Unis, est tristement célèbre.

[14] https://archive.nytimes.com/goal.blogs.nytimes.com/2011/02/25/a-qaddafi-son-italian-soccer-and-the-power-of-money/

 

[15] Quelque 3 400 athlètes portant les couleurs de 26 pays de trois continents (Afrique, Asie et Europe) se sont affrontés dans 24 disciplines sportives, de l’athlétisme à la natation en passant par le football, le judo et la gymnastique.

[16] Alger est devenue une capitale très courtisée à la lumière du conflit russo-ukrainien. De nombreux pays européens, notamment du pourtour méditerranéen, veulent garantir leurs approvisionnements en gaz. L’Algérie est en effet la puissance énergétique la plus proche de l’Europe. La France y cherche sa place dans la concurrence des influences en direction d’Alger.

[17] Cet avenir pourrait-il être semblable à celui que le Traité de l’Elysée a dessiné pour la France et l’Allemagne.

[18] Le Brésil, la Russie, l’Afrique du Sud et la Chine, qui eux aussi ont perçu les méga-événements sportifs comme des opportunités de présenter un visage « nouveau » ou « meilleur » dans l’arène internationale. Ces quatre nations font partie des cinq pays constituant le club des BRICS et l’Algérie a présenté sa candidature pour adhérer à cette organisation.

[19] Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, initia une « révolution » stratégique en janvier 2016 avec la nomination d’un ambassadeur pour le sport et créer une diplomatie sportive pour le rayonnement de la France

[20] Révolte populaire contre le régime d’Abdelaziz Boueflika, déclenchée le 21 février 2019.

[21] Les journées, réunissant sportifs de haut niveau, dirigeants de club ou de fédération, universitaires et journalistes, mauritaniens et français visent à promouvoir le potentiel économique et les opportunités d’emploi. Le sport est aussi un prétexte pour que la France puisse préserver un espace d’influence en Afrique du Nord et plus largement dans la bande sahélienne.

[22] Selon un communiqué du cabinet marocain, l’émir du Qatar aurait informé le roi Mohammed VI de son soutien dans l’hypothèse d’une candidature à l’organisation du Mondial 2030.